Le gaspillage alimentaire, enjeu économique et moral

Le gaspillage alimentaire, enjeu économique et moral

Effet rebond d’une société de l’hyperconsommation, le gaspillage alimentaire est devenu un sujet d’études depuis quelques années et arrive progressivement dans le débat public. A l’occasion de la 4ème édition de la Semaine Européenne de la Réduction des Déchets (SERD du 17 au 25 novembre), midi : onze s’intéresse à la question.

 

Véritable enjeu économique, écologique, social mais aussi éthique, le gaspillage alimentaire n’a pas aujourd’hui de définition officielle et peut englober des approches assez variables en fonction des organismes. Le plus généralement, les « pertes et gaspillages alimentaires » renvoient à la quantité de nourriture qui aurait pu être mangée par l’homme et qui est finalement jetée. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, le gaspillage alimentaire représente un coût de 400 euros pour une famille de quatre personnes et un volume annuel, par habitant, de 20 à 30 kg de nourriture jetée. La FAO donne aussi quelques chiffres : selon elle, un tiers de la production alimentaire mondiale est perdu ou jeté, soit l’équivalent de 1, 3 milliards de tonnes chaque année, alors même qu’un milliard de personnes sont considérées comme mal nourries au niveau mondial.

Du gaspillage à tous les niveaux de la chaîne alimentaire

« La France ne fait pas figure d’exception : ses commerces alimentaires regorgent de 180 % de la quantité de nourriture dont sa population a vraiment besoin. On pourrait économiser 33% des aliments produits dans le monde, soit assez pour répondre aux besoins nutritionnels de 3 milliards d’humains supplémentaires », annonce Tristran Stuart, leader d’opinion anglais engagé dans le gaspillage alimentaire et qui signe la préface du livre de Bruno Lhoste «La grande (sur-)bouffe. Pour en finir avec le gaspillage alimentaire », publié en 2012 aux éditions Rue de l’Echiquier. Dans son livre, l’auteur met en avant les pertes et gaspillages qui se déroulent à tous les stades de la chaine alimentaire : production, transport, stockage, transformation, distribution et consommation. « Le rôle de la grande distribution se déroule en amont et aval : elle a un impact très fort en tant qu’acheteur (en reportant les surplux sur les fournisseurs) et en tant que prescripteur à travers la publicité et les offres promotionnelles qui permettent de liquider les surstocks…sans parler des critères esthétiques pour les fruits et les légumes qui éliminent une grande partie de la production », explique Bruno Lhoste. Et la suppression en 2009 de normes européennes pour mettre fin au calibrage des fruits et des légumes n’a pas vraiment changé la donne.

Un cadre institutionnel qui se met en place

Chapeautée par l’ADEME, la Semaine Européenne de la Réduction des Déchets (SERD) organise cette année 2 888 actions partout en France. L’ambition affichée de cet événement est de sensibiliser le plus grand nombre à « la nécessité de réduire la quantité de déchets produite en France et de donner des clés pour agir au quotidien ». Au programme : collectes, animations, mises à disposition de bac à compost, stands d’informations et de documentations au niveau des collectivités, entreprises, écoles…

L’Europe commence également à s’impliquer. Le Parlement européen a adopté une résolution le 19 janvier 2012 afin de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025 et 2014 sera « l’Année Européenne de la lutte contre le gaspillage alimentaire. » En France, le Grenelle de l’Environnement a abouti à une mesure réglementaire en vigueur depuis le 1er janvier 2012 (l’article 204 de la loi Grenelle II). Désormais les « gros producteurs » (Industries agro-alimentaires, commerce et grande distribution, restauration, marchés,…) de biodéchets sont tenus de les faire traiter en vue de permettre la valorisation de la matière de manière à limiter les émissions de gaz à effet de serre et à favoriser le retour au sol.

Pour participer à l’objectif de réduire de moitié le volume des déchets alimentaires d’ici à 2025, le ministère de l’Agriculture a relancé le sujet à travers « un pacte national contre le gaspillage » d’ici à juin 2013. En pratique, le programme annoncé se traduit par deux mesures principales : collecter les invendus au profit des plus démunis en généralisant aux 22 marchés d’intérêt national (Min) d’ici 2013 les premiers accords avec des associations caritatives et lancer cinq opérations pilotes en janvier (dans des collèges en Dordogne et un restaurant d’entreprises en Mayenne) pour réduire la part des déchets dans la restauration collective. Le ministre dédié à l’agroalimentaire Guillaume Garot souhaite également favoriser la vente à l’unité dans les rayons de la grande distribution. « Il s’agit pour le moment d’un effet d’annonce, on attend le plan. L’heure n’est plus à l’expérimentation et à quelques sites pilotes. L’enjeu est tel qu’il nécessite un véritable changement d’échelle. Il manque une politique territoriale alimentaire en France », estime pour sa part l’auteur de « « La grande (sur)bouffe ».

Reste que le gâchis alimentaire ne pourra jamais être réduit à zéro. Tristran Stuart estime qu’il est acceptable de prévoir 130% de surplus dans la production pour éviter les impondérables (mauvaises récoltes, problèmes d’approvisionnements). De plus, une part inévitable de déchets est produite, de l’ordre de 50% selon une étude réalisée par la FNE : il s’agit ici des déchets non comestibles comme les carcasses ou les coquilles… Toutefois, un potentiel de réduction existe. Il passe notamment par ces trois leviers : un objectif central de « réduction » des déchets, de «réutilisation » notamment à travers des banques alimentaires et de « recyclage » avec entre autres l’alimentation animale, le compost, la méthanisation (méthode qui permet également de produire du gaz) pour tout ce qui ne peut pas être consommé…

Le gaspillage alimentaire, un phénomène culturel

A travers les 6 R (Réduire, redistribuer, recycler mais aussi reconnaître, reconnecter et Réapprendre), Bruno Lhoste propose une lecture plus large du problème et dégage une explication davantage culturelle : « Il y a eu une perte du fil de l’origine de la nourriture. On a oublié que ce n’était pas n’importe quel produit manufacturé, et ce, surtout en milieu urbain. De plus, il n’y a plus le savoir-faire traditionnel que l’on apprenait auparavant dans la famille ou le milieu scolaire de la « cuisine des restes. Il y a une composante culturelle énorme dans le gaspillage alimentaire ». Les Amap, l’engouement croissant pour les circuits courts qui mettent directement en lien le producteur et le consommateur (comme la Ruche qui dit Oui !) ouvrent la voie vers une relocalisation de l’économie et offrent la possibilité de reprendre contact avec un système de production alimentaire plus « durable » et moins standardisé. En toile de fond se dessine une problématique plus globale à l’échelle du territoire : Alors même que 75% de la population mondiale vivra en ville en 2050, la question de l’autonomie alimentaire et de l’approvisionnement des denrées devient cruciale et devrait inciter les différents acteurs à donner à la question alimentaire une dimension plus humaine.

Déborah Antoinat