Stefan Buljat, association Bastina Voyages : « Le voyage commence ici, près de chez soi. »

Stefan Buljat, association Bastina Voyages : « Le voyage commence ici, près de chez soi. »

L’association Bastina a déployé le programme européen Migrantour à Paris. Ce programme, lancé en 2010 à Turin, a pour objectif de proposer des itinéraires urbains interculturels, accompagnés par des habitants issus de l’immigration pour découvrir le territoire avec un regard différent. Depuis, il a été expérimenté dans 9 villes européennes (Turin, Milan, Gênes, Florence, Rome, Marseille, Paris, Valence, Lisbonne). Midionze a voulu interroger ces formes alternatives de tourisme urbain et déterminer en quoi les migrations peuvent être un facteur d’enrichissement et de transformation des villes.

Stefan Buljat

Stefan Buljat

1/ Vous avez remporté l’appel à projets pour mettre en place le projet Migrantour à Paris. Qu’est ce qui vous a intéressé dans ce projet ?

Nous réalisions déjà des balades urbaines depuis 2012. Ce qui nous a séduit avec le projet Migrantour, c’est le changement de paradigme dans le tourisme équitable qu’il propose. Habituellement, ce type de tourisme s’opère à travers des destinations exotiques, à des milliers de kilomètres. Ce projet permet de le recentrer ici et maintenant. Le voyage peut commencer ici, près de chez soi.

2/ Quelles ont été les principales difficultés auxquelles il a fallu faire face ?

Au départ, il a fallu identifier et trouver les « passeurs de culture » et il a fallu du temps pour que nos différents partenaires nous accordent leur confiance. Depuis, nous avons lié des partenariats avec le Musée de l’histoire de l’immigration et l’Université Paris Descartes, la Ville de Paris et des acteurs de la Politique de la Ville et de l’économie sociale et solidaire.

3/ Les balades sont donc guidés par des habitants des quartiers issus de l’immigration. Qui sont ces « passeurs de cultures » et comment les recrutez-vous ?

Venant de tous horizons socio-culturels, ce sont souvent des personnes qui se sentent concernées ou qui ont un intérêt pour la diversité culturelle, qui travaillent dans des associations de quartier ou culturelles. La formation se déroule avec des étudiants en anthropologie de l’Université Paris Descartes avec lesquels les « passeurs » ont réalisé des enquêtes et travaillent pour élaborer des projets touristiques alternatifs. La prochaine session de formation débute fin septembre avec une promotion de 25 personnes.

4/ Le contexte actuel des attentats et des discours ultra-sécuritaires qui ont suivi a-il eu une influence sur les balades ou les passeurs ?

Il y a en effet une influence. Il y a encore 2/3 ans, lorsque l’on faisait des balades, on percevait les
migrants comme « des oiseaux migrateurs » ! Aujourd’hui, le mot « migrant » est systématiquement associé aux primo-arrivants. On le ressent avec certaines balades comme celle que nous proposons sur le thème des frontières à Saint-Denis. Beaucoup de gens hésitaient après les événements de novembre dernier. Nos balades se déroulent principalement dans l’est parisien, dans le 18e, 19e  et le 20e arrondissement de Paris ainsi que dans sa proche banlieue. Ces mêmes lieux que le journaliste Nolan Peterson de l’émission de Fox News a identifié sur une carte de Paris comme des « No-Go-Zones ». Notre rôle est aussi de lutter contre les préjugés et les a-priori mais l’actualité n’arrange pas les choses.

Atelier de Fadel Balade Fashion Mix2

Atelier de Fadel Balade Fashion Mix2

5/ On estime qu’en Île-de-France, une personne sur 5 est d’origine extra-européenne. Selon vous, en quoi les multiples migrations au fil des siècles sont un facteur d’enrichissement des villes, en l’occurrence de Paris ?

Paris se revendique comme la ville-Lumière, de la Liberté depuis le XIXe siècle.
Une Ville-Monde qui n’est pas uniquement une image mais bien une réalité avec la présence de nombreux exilés politiques ; il y a eu aussi les migrations pour des raisons économiques, des gens ont vécu ici, portant en eux leur culture, façonnant le territoire par leur présence, leurs activités.
Toutes ces migrations ont créé une capitale aux multiples visages avec une multitude de cultures.
La future balade « Les petites Italies », par exemple, s’intéresse aux migrations transalpines des années 1930 qui ont transformé ou créé des quartiers entiers à La Courneuve en Seine-Saint-Denis. La balade Fashion Mix dans le quartier de la Goutte d’Or permet de mettre en lumière ce qu’ont apporté les migrants au développement du prêt-à-porter et à la mode parisienne. Paris est la ville la plus touristique au monde, notre ambition est de montrer qu’il n’ y a pas que la Tour Eiffel et les Champs-Élysées mais que Paris, c’est aussi des quartiers populaires d’une incroyable richesse culturelle ! Ce patrimoine vivant et immatériel mérite d’être mis en valeur. Par ailleurs, Migrantour participera à un cycle de conférences à la Cité de l’architecture et du patrimoine à l’automne prochain pour évoquer ce Grand Paris cosmopolite.

6/ Ces balades cherchent à attirer des habitants du quartier, de la ville, des étudiants, des touristes. En pratique, qui participe à ces visites ?

A plus de 70 % ce sont des Franciliens, de Paris et de région parisienne qui cherchent à connaître les « codes » de ces quartiers pour acheter par exemple des produits dans une épicerie ou dans une boutique de Wax. Nous avons aussi quelques touristes étrangers. Récemment, une trentaine de jeunes venus de Tunisie, du Maroc ou encore de Serbie et Macédoine, hébergés par l’Auberge de jeunesse de la Halle Pajol dans le 18e arrondissement ont participé à des visites.

7/ Comment éviter de faire de ces balades urbains un passe-temps pour personnes en mal d’exotisme ou encore de tomber dans le folklore, ce qui serait à contre-courant des objectifs visés ?

L’exotisme est un écueil mais il me semble qu’il est intrinsèque au tourisme ! On ne peut pas lutter contre l’exotisme mais on peut essayer de mettre en perspective, de montrer que l’altérité fait partie de paysage parisien, français et faire appel à l’imaginaire ! On souhaite éviter les lieux communs.  En donnant la parole aux habitants eux-mêmes, à ces passeurs de culture, on fait en sorte que le migrant devienne un véritable interlocuteur. Leur discours et leurs propos leur appartiennent complètement ! Et les balades sont désormais payantes [ndlr : 15 euros la balade, la moitié est reversée au passeur]. Ce n’est pas tout à fait la même démarche que pour d’autres formes de tourisme alternatif.

8/ Autre danger : la « touristification » de la diversité culturelle et donc sa commercialisation ne risquent-elles pas d’accélérer le phénomène de gentrification de certains quartiers et ainsi d’écarter les émigrés qui y vivent ?

Si en effet ! Si elle est faite de façon massive et incontrôlée. En ce qui nous concerne, nous réalisons quelques interventions ponctuelles et je pense que Barbès ne sera jamais les Champs-Élysées ! L’idée est de faire découvrir un territoire, d’apporter une valeur ajoutée au niveau économique en faisant découvrir des commerces sans jamais forcer à l’achat. Il est important de respecter une éthique et de ne pas transformer les habitants en animaux de foire ! Et cela ne peut pas se faire sans la collaboration des habitants eux-mêmes.

Propos recueillis par Déborah Antoinat