Quels mobilités dans les territoires peu denses ? Entretien avec Pauline Métivier sur la démarche France Mobilité

Quels mobilités dans les territoires peu denses ? Entretien avec Pauline Métivier sur la démarche France Mobilité

En janvier 2018, le Ministère des transports et celui du développement durable et solidaire lançaient la démarche « French mobility ». Rebaptisée depuis « France mobilité », celle-ci cherche à soutenir les transitions mobilitaires dans les territoires peu denses et mal équipés en transports publics, comme nous l’explique dans un entretien Pauline Métivier, qui travaille au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer.

 

Pouvez-vous tout d’abord expliquer la genèse de France mobilité et le contexte de sa création ?

On a lancé cette démarche en janvier 2018, dans le sillage des Assises nationales de la mobilité. Ces assises ont été un grand moment de concertation citoyenne dans les territoires et ont rassemblé tous les acteurs de la mobilité, qui ne se parlaient pas forcément jusqu’alors : collectivités territoriales, administrations de l’Etat, grands opérateurs de mobilité, start-ups, fédérations professionnelles, associations, etc. De nombreuses solutions ont alors émergé, qui ont en partie nourri le projet de loi d’orientation des mobilités. Mais nous avons aussi constaté que certaines des propositions énoncées ne relevaient pas de la loi, et que si celle-ci était nécessaire sur de nombreux points, elle ne ferait pas émerger à elle seule des solutions pour répondre à tous les problèmes concrets. Nous avons eu besoin de mettre en connexion les gens, de fédérer l’ensemble des acteurs qui œuvrent pour la mobilité dans les territoires, et notamment les territoires peu denses. Des solutions peuvent y émerger, comme l’autopartage ou le co-voiturage, mais les freins à leur développement ne sont pas règlementaires et tiennent à l’absence de dialogue et de compréhension entre les différents acteurs.

Concrètement, que faites vous ?

France Mobilité met en œuvre différentes actions organisées selon six grandes thématiques. La première action, très concrète, a consisté à mettre en place un poste de facilitateur. Soit une personne identifiée comme ressource au sein du ministère, et que les porteurs de projets peuvent solliciter quand ils rencontrent une difficulté, notamment réglementaire. C’est ce facilitateur qui a lancé l’appel à projet dérogations, clôturé en décembre 2018, et dont l’idée était de faire remonter des projets pour lesquels il y avait des freins réglementaires à l’expérimentation, et de leur accorder des dérogations.

Deuxième action : mettre en place une plateforme de mise en relation entre les personnes qui ont des besoins et celles qui ont des solutions. Cette plateforme, qui sera mise en ligne le 12 mars, va recenser sur une carte l’ensemble des projets, des solutions et des expérimentations sur les territoires, pour qu’ils puissent être répliqués ailleurs. On a déjà recueilli plus d’une centaine de projets.

La troisième action porte sur la commande publique. L’idée est d’accompagner les collectivités dans le financement et l’organisation de services de mobilité sur leur territoire, et notamment auprès de start-up qui ont du mal à s’adapter aux contraintes des règles de la commande publique. Sur notre impulsion, il a été créé une dérogation pour les appels d’offre publics de moins de 100 000 euros dans les cas précis d’expérimentations et de services innovants. Sont particulièrement visées les communautés de communes en zone rurale qui veulent mettre en place un service de co-voiturage et le contractualisent avec une start-up. On est convaincus que ces nouveaux services portés par les start-up ne seront pas autonomes économiques sans financements publics.

La quatrième action vise à créer une culture de l’innovation et des mobilités. On va lancer dans ce cadre un « tour France mobilité » à partir d’avril pour que les acteurs du secteur puissent se rencontrer.

L’action numéro cinq porte sur l’ingénierie territoriale car les collectivités n’ont pas forcément les ressources en interne ni les compétences pour mener à bien des expérimentations. On a notamment lancé un appel à manifestation d’intérêt dans les territoires peu denses dès 2018, avec des dossiers très simples, en contrepartie d’un financement d’études. On veut aussi monter des cellules d’ingénierie territoriale. Nous projetons aussi d’organiser un autre appel à manifestation cette année. On a eu beaucoup de réponses lors du dernier appel à projets, ce qui montre qu’il y a de vrais besoins.

Enfin, l’action 6 concerne les financements. Nombre de financements existent, mais ce sont généralement les mêmes types d’acteurs qui arrivent à les avoir car ils connaissent les mécanismes. Il n’est pas forcément nécessaire de créer d’autres fonds, mais de mieux orienter les financements.

 

« On porte cette attention particulière aux territoires peu denses car nous sommes convaincus que les nouvelles solutions de mobilité ont une vraie pertinente pour répondre aux besoins de ceux qui y vivent. Or, aujourd’hui la voiture individuelle est la solution, ce qui n’est bon ni pour la planète, ni pour le porte-monnaie. Sans parler des gens qui n’ont pas la possibilité de s’y déplacer, car ils n’ont pas le permis, ni de voiture. »

 

France Mobilité semble cibler au premier chef les territoires ruraux et périphériques…

C’est clairement notre focus en effet. Si des métropoles en expriment le besoin, elles pourront bien sûr utiliser les outils que nous mettons en place. On porte cette attention particulière aux territoires peu denses car nous sommes convaincus que les nouvelles solutions de mobilité ont une vraie pertinente pour répondre aux besoins de ceux qui y vivent. Or, aujourd’hui la voiture individuelle est la solution, ce qui n’est bon ni pour la planète, ni pour le porte-monnaie. Sans parler des gens qui n’ont pas la possibilité de s’y déplacer, car ils n’ont pas le permis, ni de voiture.

Pourquoi les nouvelles mobilités sont-elles pertinentes dans ces territoires ?

Les services réguliers de transport – bus, trains, etc. – ont leur zone de pertinence, mais il y a des territoires où ils sont à l’inverse très peu pertinents faute de besoins, d’où des bus vides ou des horaires inadaptés. Des solutions plus flexibles, pour partager les voitures ou faire du transport à la demande, décuplent les possibilités. Mais ce sont pour le coup des réponses très locales.

Dans les revendications des gilets jaunes et celles des étudiants manifestant pour le climat, on voit émerger une demande forte en matière de transport ferroviaire, qui va d’ailleurs à l’encontre du rapport Spinetta. Le train est-il aujourd’hui adapté aux besoins mobilitaires des territoires les moins denses ?

Le devenir des petites lignes est un sujet sensible. Tout d’abord il faut préciser que le gouvernement n’a pas prévu d’appliquer à la lettre le rapport Spinetta. Nous continuons de penser que le train a son domaine de pertinente, même pour les petites lignes, et que tout est affaire de contexte. On voit d’ailleurs ici que le modèle de l’Etat grand organisateur, qui planifie et prévoie, ne fonctionne pas sur ces sujets particuliers. On n’a pas les ressources pour rénover toutes les petites lignes, et nous lançons donc une démarche en liaison avec les régions, pour réfléchir à ce qu’on en fait, et le cas échéant trouver des financements et des solutions pour les optimiser. Il n’y a pas de grands principes sur ce point, si ce n’est que la France est un grand pays du rail et qu’on ne peut pas évacuer la question simplement.

Parmi les « nouvelles mobilités », en existe-t-il qui seraient typiquement extra-métropolitaines ?

 Typiquement, le transport à la demande ! Il est très pertinent dans les zones peu denses, beaucoup moins dans les métropoles. Il est vrai que beaucoup de solutions se développent dans les métropoles car c’est là que se trouvent les modèles économiques des start-up.

Justement, comment faire venir les start-up dans des territoires où elles sont aujourd’hui absentes ?

Selon nous, la solution consiste à mettre les autorités organisatrices au cœur du système. Concrètement les communautés de communes sont le bon échelon pour savoir ce qui est pertinent et répondre aux besoins au cas par cas, sur un maillage très serré. Elles pourraient financer à ce titre une partie du service. Les start up ont évolué dans ce sens depuis le début des assises de la mobilité. Elles avaient tendance au début à ne pas aller voir les collectivités territoriales, elles n’en avaient pas le réflexe. Or elles commencent à comprendre, notamment les start-up de co-voiturage, qu’elles vont avoir besoin des collectivités pour se développer. Il faut donc à la fois accompagner les collectivités et les opérateurs de mobilités.

 

« Il y a un intérêt des start-up pour les territoires peu denses, mais ce sont des entreprises que leur modèle économique porte à voir à court terme : en tant qu’entreprises débutantes, elles ne savent pas si elles existeront dans trois mois, et ajustent leur trésorerie à cette incertitude. »

 

Les start-up manifestent-elles un intérêt pour ces territoires ?

Il y a un intérêt des start-up pour les territoires peu denses, mais ce sont des entreprises que leur modèle économique porte à voir à court terme : en tant qu’entreprises débutantes, elles ne savent pas si elles existeront dans trois mois, et ajustent leur trésorerie à cette incertitude. Les marchés qu’elles cherchent en premier sont donc ceux qu’elles peuvent développer rapidement, en l’occurrence dans les métropoles.

La voiture autonome pourrait-elle constituer une innovation particulièrement intéressante pour les zones peu denses ?

On pense que la voiture autonome est une opportunité, d’autant plus que ses premiers usages seront sans doute des usages partagés. Elle aura onc toute sa pertinence dans les territoires moins denses, car elles proposent un modèle économique intéressant, moins cher. Il y a déjà des expérimentations en cours en France, menées par Navya ou Michelin.

Vous avez mentionné les freins réglementaires et administratifs au développement des nouvelles mobilités hors territoires denses. Quid des freins culturels ?

Pour lever les freins culturels, on a souhaité créer une action spécifique pour développer une culture commune, afin que chacun arrive à comprendre les contraintes de l’autre. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons créer une formation spécifique avec l’IHEDAT. On lance en septembre une première promotion France Mobilité avec des gens venus d’horizons différents. Cette formation pourrait contribuer à créer cette culture commune.

Peut-on aborder la question des mobilités dans les territoires les moins denses sans la corréler à celles de l’emploi, du logement, des activités culturelles, de l’éducation, mais aussi de la couverture numérique ?

 C’est une question essentielle car on ne peut pas s’intéresser à un service sans savoir d’où vient la demande. L’urbanisme, les services publics, etc. ont des impacts sur la mobilité et doivent y être corrélés. Là encore, les collectivités ont un vrai rôle à jouer pour coordonner les actions sur ces différents champs, grâce à la vision transversale qu’elles ont de leur territoire.

Est-ce l’indice d’une nouvelle manière d’aborder l’aménagement du territoire, plus décentralisée ?

La question de la mobilité est déjà très décentralisée en France. La gouvernance des mobilités telle qu’elle est abordée dans la nouvelle loi d’orientation des mobilités cherche à simplifier la prise de compétence des communautés de communes, et à les inciter à prendre la compétence. Aujourd’hui, 80% du territoire ne sont pas couverts par une autorité organisatrice de la mobilité, car les communautés de communes n’ont pas pris la compétence. Notre compréhension du sujet est qu’elles ne l’ont pas fait parce qu’il n’y avait pas de pertinence à développer des services réguliers. La question est de savoir comment l’Etat peut simplifier les choses. Chaque échelon territorial a sa pertinence. Le pari que fait la loi d’orientation des mobilités, c’est qu’en simplifiant la prise de compétence, on incite les communautés de communes à développer des mobilités. On leur fixe une date limite à partir de laquelle on considère qu’elles n’ont pas les moyens de le faire et la compétence est alors transférée à la région, qui est déjà chef de file dans la coordination des mobilités sur le territoire.

Faisons pour finir un peu de prospective. Quels effets le développement de « nouvelles » mobilités dans les territoires peu denses pourrait-il avoir sur ces territoires ? Pourrait-il contribuer notamment à y ramener emplois, commerces, écoles, habitants, dans un contexte où une majorité de Français aspire à vivre à la campagne ? 

La mobilité est liée à tous les autres sujets. Il y a des besoins qui émergent en fonction des politiques d’urbanisme, en matière de services publics, etc.. A l’inverse, le développement d’une offre efficace de mobilité aura forcément un effet sur le comportement, le lieu d’habitation, etc. On ne fait pas de la mobilité pour faire de la mobilité, on est très conscients des enjeux qui lui sont liés, qu’ils soient écologiques, sociaux, etc.