Tribune : l’avenir de l’humanité est-il dans les métropoles ?

Tribune : l’avenir de l’humanité est-il dans les métropoles ?

Alors que toutes les projections nous prédisent un avenir urbain, il est urgent de réfléchir à d’autres modes d’aménagement du territoire, mieux connectés à la nature. Par Vidal Benchimol

 

L’avenir de l’humanité, nous dit-on, se jouera dans les métropoles. Les projections sont formelles : si la population mondiale est déjà urbaine à 50%, cette proportion devrait monter à 80% d’ici 2050. On a pourtant bien du mal à ajouter foi à une telle prévision. Ce pourcentage se fonde en effet sur l’extrapolation d’une tendance à l’œuvre aujourd’hui. Va-t-elle se poursuivre ? Rien n’est moins sûr.

 

En France, les prémisses d’un exode urbain ?

Tout porte à croire au contraire que nous sommes à l’aube d’une rupture. Dans les pays dits « du Nord », où la transition urbaine est achevée de longue date, on assiste déjà selon certains chercheurs aux prémisses d’un exode urbain – qui se joue aussi bien dans le périurbain que dans l’espace rural. Les raisons de cet exode sont multiples : pour les classes moyennes les plus fragiles, l’éloignement des métropoles est devenu la condition de l’accession à la propriété et, à terme, de la transmission d’un patrimoine. Aux populations plus nanties, il offre un cadre de vie de qualité et une proximité avec la nature. Pour certains militants écologistes et anarchistes, il signe un retour à la Terre – sinon sur Terre – où peuvent se formuler des alternatives à un modèle économique fondé sur la croissance et la surexploitation des ressources naturelles. Des « alternatives » telles que les ZAD, même si elles sont embryonnaires, même si leurs effets pratiques sont incertains, émergent un peu partout. Elles proposent un autre modèle de développement humain, fondé sur la résilience, une agriculture affranchie du productivisme et des intrants chimiques (la permaculture en est un exemple), et une pratique renouvelée de la démocratie.

 

« Les marches pour le climat se multiplient, et le modèle de la croissance infinie, qui justifie la concentration des fonctions et de la production de richesses dans une poignée de métropoles, est de plus en plus mis en cause dans la catastrophe écologique en cours. »

 

Il faut dire que le contexte se prête à un tel virage : les marches pour le climat se multiplient, et le modèle de la croissance infinie, qui justifie la concentration des fonctions et de la production de richesses dans une poignée de métropoles, est de plus en plus mis en cause dans la catastrophe écologique en cours. Sur le plan philosophique, un courant de forte mise en question de l’anthropocentrisme se également fait jour. Il plaide pour une approche « cosmomorphe » du monde, qui envisage la nature non depuis une vision surplombante et extériorisée, mais inclusive, parfois même antispéciste. Bref, à tous les égards, les fondements sur lesquels sont édifiées les métropoles sont en train de vaciller, l’édifice se lézarde. Il apparaît alors que c’est bien hors des espaces urbains denses, dans les zones aujourd’hui négligées – sinon méprisées – du périurbain et du rural que pourraient émerger des modes de vie et des manières d’être au monde capables d’atténuer la catastrophe en cours.

 

Le rural et le périurbain, gisements d’opportunités

Plusieurs raisons viennent appuyer cette intuition tenace. D’abord, ces zones qui semblent aujourd’hui définies essentiellement par leurs manques (de services publics, de transports collectifs, d’offre culturelle, d’ouverture à l’autre, et même de couverture numérique) sont aussi de remarquables gisements d’opportunités. Elles jouissent en effet de deux atouts de taille : l’espace et la proximité de la nature – fût-elle altérée, mitée, malmenée. La maison individuelle avec jardin, si décriée malgré son antériorité sur l’immeuble collectif, est un lieu d’autonomie possible. Elle permet d’assurer une part significative de l’alimentation d’un ménage, en autoproduction. Elle offre des surfaces où développer un réseau énergétique décentralisé. Contre toute attente, elle constitue aussi un poste d’observation de la nature, un lieu où renouer des liens avec le monde animal et végétal, où développer des modes de culture et de jardinage attentifs à accueillir toute la diversité du vivant. Que la possession d’un jardin soit l’une des motivations premières des candidats à l’exil extra-métropolitain est un signe fort. Souvent analysée négativement comme une forme de repli sur soi, voire de « clubbisation », cette aspiration peut aussi s’interpréter comme un désir – sans doute atavique – d’être en contact quotidiennement avec ce dont l’urbanisation nous a exilés : les plantes, les animaux sauvages, l’humus…

 

« La maison individuelle avec jardin, si décriée malgré son antériorité sur l’immeuble collectif, est un lieu d’autonomie possible. »

 

Bref, on pourrait renverser du tout au tout la vision très négative qui leste aujourd’hui les espaces situés à distance des zones urbaines denses. Au lieu de les jauger comme des terres de relégation et de refus de l’altérité, il s’agirait alors d’y faire germer les conditions d’un autre mode d’être au monde, accordé à l’immense défi que constituent aujourd’hui le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’accroissement des inégalités. Comment s’y prendre ? Il serait évidemment trop long de détailler ici les actions à mettre en œuvre pour opérer ce renversement. Nous nous contenterons donc de jeter ici quelques pistes, en guise d’amorce.

 

Quelques pistes pour un virage à 180°

Premier chantier : le rééquilibrage territorial. Rien ne justifie aujourd’hui que les entreprises et les activités économiques se concentrent dans les cœurs des grandes villes – à commencer par Paris. Rien ne justifie non plus le présentéisme contemporain dans un contexte où les nouvelles technologies rendent au contraire le télétravail – au moins partiel – parfaitement efficient. Des zones franches rurales ou périurbaines pourraient ainsi être mises en œuvre à titre incitatif – le prix très attractif du foncier étant un autre levier… Ce rééquilibrage territorial doit aussi s’accompagner de mesures fortes en matière de formation initiale et continue. L’accès des jeunes aux études supérieures est aujourd’hui une gageure, et constitue une cause majeure du déclin démographique des zones rurales. Ce déclin pourrait être enrayé par une meilleure répartition sur le territoire de l’offre de formation, mais aussi par une valorisation des métiers déployés en milieu peu dense – foresterie, agriculture, artisanat, etc.

Autre question centrale : celle des transports. Si la mobilité effrénée – celle des voyages en avion tous azimuts notamment – est à reconsidérer, sinon à déconstruire, la mobilité quotidienne doit être garantie, à fortiori dans les zones où les services publics et l’emploi font défaut. En la matière, il est absolument nécessaire de développer partout des alternatives au modèle dominant de la voiture individuelle. L’aménagement de pistes cyclables sécurisées et éclairées, le développement d’une offre de transport collectif de qualité et adaptée aux besoins locaux, ou encore des incitations fortes au covoiturage sont à encourager par tous les moyens – pourquoi pas via une taxe carbone d’abord appliquée au transport aérien, maritime et routier professionnel. Le transport collectif à la demande, quasi inexistant hors métropoles, gagnerait aussi à investir les territoires peu denses, avec l’appui de l’Etat et des collectivités.

Concernant l’énergie, il faut poursuivre et intensifier l’effort engagé en matière de rénovation et d’isolation, et développer des réseaux d’énergie distribuée. En ce qui concerne la biodiversité, une vaste campagne de sensibilisation est nécessaire, et doit s’accompagner de mesures d’accompagnement fortes pour permettre une meilleure cohabitation de l’homme et des espèces sauvages. Cette sensibilisation pourrait commencer dès l’école, avec la création de cours de botanique et de biologie destinés à mieux faire connaître la vie du sol, le cycle végétal et animal, le rythme des saisons… Elle pourrait se poursuivre avec des ateliers de jardinage, où les préceptes mis en œuvre par les collectivités (gestion différenciée par exemple) seraient étendus aux particuliers. Le déclin de la faune et de la flore sauvages ne sont pas inéluctables. Avec des mesures simples – à commencer par le renoncement à la tonte systématique ! – il est possible d’aménager des espaces accueillants pour les animaux et les plantes…

La mise en œuvre de ces mesures aurait évidemment des effets sur le tissu économique extra-métropolitain. Elle y ferait revenir l’emploi, les services, la culture, etc. Elle serait aussi l’occasion d’un contact renouvelé avec le monde naturel – gage d’une meilleure volonté d’en prendre soin, de le protéger… Loin des métropoles minérales où la nature est une abstraction dont on contemple la destruction par écrans interposés…