Le bâtiment frugal : une alternative aux normes de construction durables

Le bâtiment frugal : une alternative aux normes de construction durables

En décembre dernier, à l’occasion de la COP 21, un groupe de travail de l’ICEB (Institut pour la conception écoresponsable du bâti) proposait une réponse à la nécessaire adaptation des standards du bâtiment aux enjeux climatiques, énergétiques et sociétaux de demain : le guide « Le bâtiment frugal ». Construction passive, approche bioclimatique, choix des matériaux, confort et usage, prise en compte de l’environnement du bâtiment, l’ouvrage questionne ces notions et offre une visibilité à des projets pionniers en marge des standards actuels.

« Notre point de départ est parti d’un constat, explique Alain Bornarel, ingénieur cogérant de Tribu, bureau d’études spécialisé dans le développement durable, aux manettes du groupe de travail de l’ICEB chargé du guide Le bâtiment frugal. Il existe aujourd’hui en France une production de bâtiments performants qui sortent des sentiers battus et dont on ne parle pas. Aujourd’hui, la production est très normalisée. Or, nous pensons qu’à l’heure du changement climatique, les solutions actuelles ne sont plus valables et qu’il y a une nécessité à faire évoluer les standards. Une révolution dans ce domaine est nécessaire si l’on veut répondre aux enjeux climatiques d’aujourd’hui et de demain ». Fruit d’un travail débuté il y a deux ans, Le bâtiment frugal marque la volonté de proposer une alternative au « passif » proche du standard Passiv’Haus, davantage adapté à des climats du Nord et de l’Est de la France, et de privilégier au maximum l’approche bioclimatique. C’est aussi à partir des recherches sur l’innovation frugale du « mieux avec moins », inspirée du concept indien Jugaad, qu’ont travaillé les membres du groupe de travail. « Cette approche correspond très bien à l’esprit low-tech et à une démarche qui minimise aussi bien l’énergie que les ressources », précise Alain Bornarel. Actuellement, on construit de la même façon à Strasbourg et à Marseille. C’est ce qu’on ne veut pas faire. Un bâtiment frugal est avant tout un bâtiment lié à son territoire, inscrit dans un contexte climatique, de ressources, d’énergies et de modes de vie ».

De fait, l’approche frugale privilégie les matériaux et les savoir-faire locaux. C’est notamment le cas de l’école Monoblet dans le Gard. Livré à la rentrée 2014, ce groupe scolaire bâti dans un village de 600 habitants offre un bilan thermique très performant (38.7 kWh/m²/an de consommation énergétique (en énergie primaire). Pour ce projet, les architectes ont misé sur une utilisation massive de bois régional (une façon de limiter les déplacements), mais aussi sur des matériaux de récupération et renouvelables, comme le béton de chanvre qui offre un bilan carbone bas voire négatif. « Nous avons cherché à éliminer tous les toxiques, souligne Yves Perret, l’un des architectes en charge du projet*. Ici, la dimension frugale s’observe à long terme et aborde des aspects tels que la santé et la réduction des maladies ». 

 

La question de l’usage

L’autre particularité de cette école est la participation des enfants à la conception et à la réalisation. « Pour qu’un bâtiment soit habité, il ne faut pas qu’il tombe du ciel ! Il faut associer les futurs habitants, explique Yves Perret. Dans le cas de ce projet, nous avons demandé aux enfants d’apposer une pierre avec le maçon, d’aider à la fabrication de carreaux de terre cuite avec une potière ou encore de contribuer à la fabrication de la mosaïque sur les supports des lavabos. Quelques mois plus tard, les instituteurs nous ont dit que la capacité de concentration s’était améliorée, mais c’est juste parce que les enfants étudiaient dans de meilleures conditions : luminosité, espace, organisation. Et aussi parce que c’était « leur » école qu’ils avaient contribué à construire. Lors de la livraison, ils connaissaient et avaient compris les principes de son fonctionnement ».

Autre exemple de bâtiment frugal dans le sud de la France : le concept taki développé par Solari Architectes. Installé à Aix-en-Provence, Jérome Solari a conçu ce système de construction en bois orienté bâtiment durable et architecture bioclimatique. Le point de départ ? Une forte demande de maisons en bois et durables mais avec de petits budgets. L’architecte réfléchit alors à la possibilité de pré-fabriquer 70 à 80 % du bâtiment pour réduire les coûts et les délais : « l’exercice est très intéressant car le principe de 20 % sur-mesure laisse une place pour innover et inventer de nouvelles formes et solutions, précise-t-il. Et l’on gagne 500 €/m² TTC par rapport à un projet classique en bois avec un coût final de 1900 €/m² ». Optimiser au maximum les postes de travaux, les matériaux, les temps d’études et de réalisations permet une approche frugale. Il s’agit de réduire les fondations et terrassements grâce à des pilotis, d’optimiser les postes techniques et de privilégier le passif, notamment via la ventilation naturelle et systèmes passifs. Car c’est bien là un des aspects fondamentaux du bâtiment frugal : faire appel à l’intelligence de ses utilisateurs plutôt qu’à des technologies complexes. « L’usage est très important en confort d’été, la ventilation est centrale. Cela fonctionne si la maison est fermée le jour et ouverte la nuit », indique Jérôme Solari. Quatre maisons « taki » sont déjà sorties de terre et 25 projets sont en cours. « Villa, extensions, surélévations, bâtiment tertiaire, on peut faire beaucoup de choses avec ce concept il y a une diversité de projets et de programmes : le concept Taki permet d’apporter le durable pour des budgets plus restreints. »

 

Fev 2015 012

L’école Monoblet, dans le Gard

Et demain, la frugalité à l’échelle de la ville ?

La frugalité est une notion qui peut également se penser à l’échelle du quartier ou de la ville. « On a un certain nombre d’indications qui font le bâtiment frugal peuvent s’envisager à l’échelle de la ville notamment pour ce qui concerne les modes de vie », précise Alain Bornarel. Le rapport à l’usage et à la propriété qui modifie le bâtiment avec le développement de locaux collectifs ou de jardins partagés peut en effet s’appliquer au-delà du seul programme immobilier. Les questions des circuits-courts pour alimentation, le rapport à la nature et à la biodiversité prennent de plus en plus d’importance et font écho à cette notion de frugalité. « Ce concept peut être très intéressant pour ce qui touche à la bioclimatique urbaine, précise Alain Bornarel. On a l’habitude de travailler sur du bioclimatique du soleil. Les recherches sur le bâtiment frugal nous ont montré qu’une approche avec du bioclimatique de vent peut être beaucoup plus pertinente pour certains territoires et je pense qu’à l’échelle de la ville cela est encore plus vrai pour répondre aux problématiques d’îlot de chaleur urbain notamment. »

Reste à faire sortir de terre ce type de projets. En décembre dernier, l’ICEB organisait un cycle de conférences intitulé « Hors la loi » évoquant notamment le bâtiment frugal. L’enjeu aujourd’hui semble pour les professionnels du secteur de contourner l’arsenal réglementaire qui les contraint dans leurs productions, incite à l’utilisation des standards actuels, et participe souvent aux surcoûts des réalisations dites frugales. « Aujourd’hui, un chantier, c’est une simple production de mètres carrés et non pas un moment de vie. Un bâtiment devrait être le moyen d’un échange », rappelle l’architecte Yves Perret.

 

*Maîtres d’œuvre de l’École Monoblet

Atelier d’architecture PERRET – DESAGES//Yves PERRET Architecte//Atelier d’architecture ARCHISTEM-Fabrice PERRIN Architecte