Le collectif anglais Assemble, lauréat inattendu du prix Turner

Le collectif anglais Assemble, lauréat inattendu du prix Turner

Signe que le monde de l’art change ? Le collectif londonien Assemble vient de remporter le prestigieux prix Turner, décerné chaque année outre-Manche à un plasticien de moins de 50 ans. Inattendue, la récompense salue l’intervention des jeunes artistes, architectes et designers dans le quartier de Toxteth à Liverpool, et leur capacité à accompagner positivement la rénovation d’un espace en déréliction par la vertu du bottom-up, de l’action directe et du DIY…

 

Leur nomination au Turner Prize dû en surprendre plus d’un, à commencer par les principaux intéressés. A première vue en effet, Assemble ne faisait pas franchement figure de favori, ni même de prétendant, à une récompense ayant couronné entre autres Damien Hirst et Anish Kapoor. Non seulement les 18 membres de ce collectif londonien créé en 2010 sont à mille lieues de la starification de certains artistes contemporains précédemment primés (à vrai dire, on peinerait à les nommer individuellement), mais il ne sont même pas artistes au sens convenu et étroit du terme, et se situent plutôt à la croisée des sciences humaines, de l’architecture et du design, et à la frontière séparant les beaux-arts des arts appliqués.

L’architecture version Do-it-Yourself

La récompense qui vient de leur être décernée signerait-elle la fin d’une époque marquée par la financiarisation de l’art contemporain et la dévaluation de toute pratique conçue comme levier de transformation sociale et politique ? Sans doute : à rebours d’une sphère esthétique jalouse de son autonomie et défendant mordicus « l’art pour l’art », Assemble voit ainsi couronner un engagement de cinq ans au plus près de la fabrique urbaine, que ce soit lorsqu’ils transforment une station-service désaffectée en cinéma (le Cineroleum) ou quand ils oeuvrent à la création d’un jardin d’enfants dans un quartier relégué. Du reste, les activités du collectif n’ébranlent pas seulement le petit monde de l’art, et mettent tout autant en cause les pratiques en vigueur dans les domaines de l’architecture, de l’urbanisme et de l’aménagement.

Le prix Turner vient en effet saluer un modus operandi fondé sur l’implication des usagers plutôt que sur la planification par les seuls experts de l’urbain. Caractéristique des initiatives présentées en 2012 dans l’exposition Re :Architecture au Pavillon de l’Arsenal, la méthode du collectif donne toute sa mesure dans le projet qui vient de lui valoir la prestigieuse récompense – soit la rénovation des maisons de quatre rues (Granby 4 streets) dans le quartier déshérité de Toxteth à Liverpool, le tout avec l’implication étroite des habitants. « L’approche, peut-on lire sur le site Internet de Assemble, est caractérisée par la valorisation du patrimoine architectural et culturel des lieux, par l’incitation du public à s’impliquer et à travailler en collaboration, par une offre en matière de formation et d’emplois et par une mise en exergue du potentiel que recèle l’esprit DIY définissant les quatre rues. »

Travailler l’existant, un choix politique

Quand Assemble découvre Toxteth, le quartier traîne derrière lui un lourd passé : ébranlé par de violentes émeutes en 1981, il a été méthodiquement démantelé par la municipalité, qui y multiplie les démolitions, relogements et projets de requalification ratés. L’incurie des pouvoirs publics est telle qu’en 2011, un groupe d’habitants décide de prendre en main le destin du quartier via la création du Community Land Trust (CLT). Dévolu à la rénovation des espaces (privés, publics et commerciaux) laissés à l’abandon, l’organisme commence à planter des arbres, à peindre les maisons vides, et crée même un marché. Il sollicite aussi l’aide de Steinbeck studios, un bailleur social qui met le CLT en contact avec Assemble.

Avec des moyens modestes, le collectif anglais réussira là où tous les projets de requalification du quartier ont échoué jusqu’alors. Clé du succès ? Sa capacité à mobiliser les ressources matérielles et humaines locales, dans le droit-fil de l’action directe et du Do-It-Yourself. Fondé sur une vision incrémentale de la fabrique urbaine et une prise en compte des usages, il dialogue avec les habitants et s’efforce de répondre au mieux à leurs besoins. A rebours des tabula rasa privilégiées par la municipalité, il choisit aussi de composer avec l’existant : « Si un plancher manque, expliquait Lewis Jones, membre du collectif, au Guardian en mai 2015, pourquoi ne pas le laisser tel quel et doubler la hauteur sous plafond ? Nous n’avons aucune pression pour tirer du site un profit maximal et placer la valeur ajoutée avant les habitants. » Ainsi, la rénovation des maisons de Granby 4 streets se fonde sur la valorisation de l’architecture victorienne et le réemploi des matériaux locaux. Les éléments utilisés par le collectif (poignées de portes, carrelage, mosaïque, mobilier, etc.) sont notamment fabriqués au sein du Granby workshop à partir de déchets de chantier. Quant aux habitants, ils sont invités à mettre la main à la patte, et se voient offrir des formations et des perspectives d’embauche.

Moulée à sa façon dans la vogue contemporaine de l’horizontalité et du bottom-up, la démarche d’Assemble n’est possible que grâce à l’implication de ses membres. A rebours des architectes « classiques » dont le cœur d’activité consiste d’abord à concevoir des plans, les Londoniens ne rechignent pas à mettre les mains dans le cambouis, et le contact avec le site et ses occupants constitue le point de départ de leur pratique quotidienne. Caractéristiques d’une nouvelle vague architecturale fondée sur la rencontre avec le terrain et l’intervention directe, ils revendiquent par là-même un rôle social que le monde de la création – art contemporain et architecture confondus – avait globalement délaissé. A cet égard, le prix Turner qui leur est décerné pourrait marquer un tournant, et signer le retour des créatifs sur la scène politique, à un moment où la démocratie représentative incarnée par les partis connaît une profonde crise de légitimité…