A BETC, les « crises de la ville » et les « futurs de l’urbain » en débat

A BETC, les « crises de la ville » et les « futurs de l’urbain » en débat

A la veille de l’ouverture du Forum urbain mondial à Kuala Lumpur, et dans un contexte marqué par une série d’arbitrages délicats sur le calendrier du Grand Paris express et l’organisation institutionnelle de la métropole francilienne, le Cercle du Grand Paris, Sciences Po, Le Centre culturel International de Cerisy, le Cercle Colbert et Suez organisaient le 31 janvier dernier, dans les locaux de BETC à Pantin (93), une rencontre stimulante autour des grands enjeux urbains du XXIe siècle. Compte-rendu.

 

« Crises de la ville, futurs de l’urbain ».

Objet d’un consensus parmi les participants, le titre de la rencontre organisée le 31 janvier dernier à Pantin par le Cercle du Grand Paris, SciencesPo, le Centre Culturel International de Cerisy, le Cercle Colbert et Suez pose d’emblée l’ambition des dix intervenants présents ce soir-là : celle d’une réflexion interdisciplinaire et prospective sur les défis posés aux territoires par le numérique, le changement climatique, l’accroissement des inégalités ou encore le tarissement des ressources des collectivités. Clin d’œil aux travaux coordonnés par l’historien Jacques le Goff à l’occasion de séminaires interdisciplinaires de recherche et de deux colloques (à l’automne 1984 à l’abbaye de Royaumont puis au printemps 1985 à Cerisy), Crises de la ville, Futurs de l’Urbain reflète les défis pluriels de l’urbanisation d’un monde interconnecté mais fragmenté. Ainsi les réponses à apporter ne peuvent-elles être uniformes ni théoriques, mais impliquent de (re)créer des capacités collectives à agir, à long terme comme à court terme, au croisement d’échelles locales et globales. Un objectif résumé au terme du débat par Nicolas Buchoud, Président du think tank le Cercle du Grand Paris de l’Investissement Durable : « Comment positionner un lieu d’échange et de rencontre qui puisse avoir un impact ? Quels modes de réflexion, quelles formes de production peuvent s’avérer utiles ? » A ce titre, le débat du 31 janvier s’offrait en préambule à une réflexion plus large, menée sur le temps long, et qui se traduira notamment, du 3 au 6 mai prochain, par un colloque à Cerisy. « Ce ne sera pas un énième colloque sur la ville, prévient Edith Heurgon, co-directrice du célèbre Centre culturel, mais une expérience collective ».

Croisant les réflexions d’élus, de chercheurs, d’acteurs associatifs, de think tanks, d’opérateurs privés ou publics, le débat organisé dans les locaux de BETC et animé par Henri de Grossouvre (Cercle Colbert), a d’abord accrédité ce constat célèbre de Wellington Webb, ancien maire de Denver : si le XIXe siècle fut celui des Empires, et le XXe siècle celui des nations, le XXIe siècle sera celui des villes. « Le phénomène urbain est une réalité irréversible », a ainsi rappelé Maximilien Pellegrini en introduction. « Selon les prévisions, nous serons 8,5 milliards d’être humains en 2030, dont 60% vivront en ville. »

Les villes au défi de l’inclusion

Or, s’il n’y a plus lieu, selon Jean-Bernard Auby, directeur de la chaire « mutation de l’action publique » à Science-Po, d’être inquiet comme il y a cinquante ans sur le devenir des aires urbaines, si nous voyons au contraire « des villes qui paraissent aptes à gérer les fléaux dont elles sont affligées », il n’en reste pas moins que celles-ci s’affrontent aujourd’hui à des défis colossaux. Premier d’entre eux : l’inclusion. Dans son intervention, Jean-Christophe Baudoin, délégué interministériel au développement de l’axe portuaire et logistique Méditerranée-Rhône-Saône CGET, souligne ainsi la situation très contrastée des territoires urbains en France, d’abord entre métropoles « totalement en phase avec la mondialisation » et villes petites et moyennes en plein « décrochage », mais aussi, au sein des métropoles, entre centres largement gentrifiés et périphéries. Si tous les intervenants ne semblent pas partager cette grille de lecture, très empreinte des travaux de Christophe Guilluy, la question de l’égalité entre territoires et entre habitants d’un même territoire n’en a pas moins été largement discutée au fil des interventions. Selon Patrick Braouzec, le « droit à la ville pour tous », pour lequel plaidait CGLU à Quito, dans le cadre de Habitat III, devrait ainsi constituer l’axe central de toute politique. Du reste, l’enjeu déborde largement selon lui le cadre urbain : après avoir distingué « ville attractive » et « ville rayonnante », le Président de Plaine Commune a ainsi appelé de ses vœux l’extension de la couverture numérique à tout le territoire. « Ce qu’on a été capable de faire avec le train et l’électricité, il faut le faire avec le numérique », plaide-t-il.

Le numérique, entre inquiétudes et espoirs

De fait, celui-ci joue un rôle de premier ordre dans les dynamiques urbaines. Comme le rappelle Isabelle Baraud-Serfaty, il est aujourd’hui, avec l’énergie, « le plus petit dénominateur commun » de toute activité. A ce titre, son omniprésence entraîne des mutations de taille, qui tiennent à la « personnalisation de masse » (big data) ou l’importance du temps réel, et engagent les modes de financement des collectivités, la nature et le périmètre de l’action publique, ou encore le « vivre-ensemble ». « Les collectivités sont de plus en plus concurrencées comme autorités régulatrices par des plateformes comme Airbnb », note-t-elle. Un constat partagé par Patrick Braouzec : « Aujourd’hui, on peut aller dans une métropole sans contribuer aux services produits par la collectivité. Tout l’enjeu est de déterminer comment reconstruire du commun en mettant au centre l’individu. » Mais si la révolution numérique invite à repenser de fond en comble la gouvernance, la gestion des services urbains ou le périmètre de l’action publique, encore faut-il que ce soit avec une conscience claire des objectifs à atteindre : « l’innovation pour l’innovation ne m’intéresse pas », prévient Patrick Braouzec, rejoint en cela par Maximilien Pellegrini. Autrement dit : le modèle de la smart city ne peut servir uniquement des velléités de contrôle et de surveillance, auquel cas il sera contre-productif. In fine, le premier défi posé par le numérique est encore et toujours celui de l’inclusion et de l’égalité : « La cité numérique sera-t-elle égoïste ou collective ? », demande ainsi Patrice Girot, DGS CA Plaine Vallée et Président du syndicat des DGS d’Ile de France.

Vers les « PPPP » ?

Pour les participants, répondre à ces enjeux implique d’abord de réexaminer l’organisation et l’autorité des pouvoirs locaux. Olivier Landel, délégué général de l’association France active invite par exemple à sortir d’une vision nationale, pour aller vers « une alliance des territoires » fondée sur trois piliers : l’autonomie, la responsabilité et le dialogue. D’où la nécessité, souligne-t-il, de créer des instruments financiers susceptibles de doter les collectivités de ressources propres.

A travers la présentation de l’UrbanLab de Paris&Co, agence parisienne dédiée à l’accompagnement de start-up, Albane Godard plaide quant à elle pour l’accompagnement public d’acteurs privés en émergence, et dont les activités pourraient constituer autant de solutions aux défis contemporains. A l’appui du propos, elle présente une série d’expérimentations menées dans les domaines de la logistique et des îlots de chaleur urbains, et pour lesquelles la mairie de Paris entend bien jouer le rôle d’un accompagnateur capable de favoriser l’innovation en limitant le risque qu’elle comporte nécessairement pour les structures les plus fragiles.

En somme, pour les participants du débat, il ne s’agit pas de contrer les nouveaux acteurs privés qui remodèlent l’urbain, mais plutôt de repenser le rôle des collectivités et leurs attributions, sans oublier non plus le rôle de l’Etat. « Ce dont on a besoin, c’est de PPPP, de partenariats public-privé-population », s’accordent à dire les intervenants. Dans les mois qui viennent, définir le cadre et les modalités de telles alliances pourrait bien constituer le cœur des réflexions du groupe réuni à Pantin…Ce dernier devra aussi synthétiser les approches françaises du phénomène urbain dans une perspective européenne et globale. Le tout sur fond de changement climatique et de raréfaction des ressources.

 

Crédit photo : Michel Tubiana