Tribune : l’or bleu, ou le prix de l’inconscience

Tribune : l’or bleu, ou le prix de l’inconscience

A mesure que l’eau se raréfie sous l’effet des sécheresses à répétition, nous prenons conscience de son caractère essentiel. Dans cette tribune, Vidal Benchimol, maître d’ouvrage et concepteur des Ecofaubourgs, appelle à des mesures fortes pour mettre fin au gaspillage de cette ressource. 

Au classement des catastrophes écologiques, la raréfaction de la ressource en eau potable s’est imposée à l’agenda médiatique en 2022 : pas moins de trois épisodes caniculaires, une saison des feux infernale et plus de 700 communes alimentées par camion citerne. 2022 aura constitué un point tournant de la perception des pénuries d’eau à venir. Depuis, les discours sur le stress hydrique se multiplient mais que fait-on au juste ? Le risque est grand de s’accoutumer petit à petit à la perspective de manquer d’eau, de même qu’on admet désormais le caractère inéluctable d’une hausse des températures de 4° sans pour autant déclarer l’état d’urgence climatique ! A chaque alerte sur l’effondrement en cours, c’est la consternation mais, très vite, on intègre les nouvelles données de l’inventaire sans engager de solutions à la mesure des enjeux. Ce sentiment diffus de résignation, face à ce qui est présenté comme une fatalité, nous éloigne de notre responsabilité éthique, nécessairement tournée vers l’action. Mais, pour agir, nous devons d’abord repenser notre relation au vivant sur la terre ; c’est la condition pour «atterrir», comme le souhaitait Bruno Latour, c’est-à-dire pour prendre « conscience de la différence entre le monde dont nous vivons et du monde où nous vivons ».

Notre inconscience face à l’épuisement des ressources

L’eau douce est une ressource non substituable, indispensable à notre survie mais elle n’est ni valorisée, ni utilisée de manière rationnelle. Nous tenons ce bien précieux pour acquis et illimité et cette erreur conduit à sa dilapidation irresponsable. Le gâchis se manifeste partout : utilisation excessive de l’eau pour les besoins industriels ou agricoles, arrosage excessif des pelouses, remplissage inconséquent des piscines… Le simple fait de laisser couler l’eau sans nécessité révèle notre relation immature à la nature. En réalité, nous considérons l’eau comme une ressource inépuisable plutôt que comme une richesse rare et limitée. Cette gabegie a de lourdes conséquences environnementales : les réserves d’eau potable diminuent, les écosystèmes aquatiques se dégradent et les pénuries s’aggravent dans de nombreuses régions du monde. L’ensemble impacte les conditions de notre existence et celles des générations futures. Au fond, notre usage pathétique de l’eau est le nom de notre manque de conscience et de considération pour l’ensemble du vivant. Nous nions notre interdépendance avec les écosystèmes que nous prétendons dominer.

Un changement de modèle

Ce phénomène de vampirisation de l’eau par notre société interroge avant tout nos modes de production et de consommation. Ceux-ci nécessitent en effet un prélèvement disproportionné de la ressource et le déséquilibre s’amplifie avec le réchauffement climatique, à mesure que l’eau potable se raréfie. C’est un cercle vicieux où l’engrenage de la surconsommation joue à plein régime.

Tous les secteurs de la production contribuent à la démesure : l’agriculture intensive, au premier chef, utilise 58% de la consommation d’eau en France. Ses pratiques, comme l’irrigation extensive, devraient donc cesser. Bien entendu, il s’agit de former les agriculteurs à des méthodes durables, et de soutenir leur transition vers l’agroécologie. C’est de cette manière que l’on pourra enfin espérer réduire l’utilisation des engrais et des pesticides qui polluent les nappes phréatiques. 

Le principe de durabilité doit guider l’ensemble de nos gestes et le domaine industriel ne saurait être exonéré des efforts collectifs. La réduction et le recyclage des matériaux, notamment, doivent permettre une baisse significative de la quantité de déchets et minimiser l’utilisation de l’eau. De nombreuses entreprises se satisfont de la plus-value apportée à leur image de marque par le green washing sans réellement agir. Leur stratégie induit ainsi en erreur les consommateurs qui se soucient de l’environnement. Dans ce contexte, le principe du pollueur-payeur semble une mesure de bon sens.

Enfin, dans le secteur domestique, les gestes sont à portée de main. Une des conditions requises consiste à éduquer, à former les populations aux usages écologiquement responsables. Il existe en effet de nombreuses possibilités pour les encourager à une utilisation appropriée de l’eau : des appareils sanitaires à faible consommation par exemple, des pratiques d’arrosage raisonnée, ou la collecte et la réutilisation des eaux issues des douches et lavabos, ou encore la récupération des eaux de pluie, voire l’aménagement durable des espaces verts etc Les solutions existent, mettons-les en application !

Le gaspillage de l’eau dévoile au grand jour l’insouciance dont nous avons fait  preuve face à l’épuisement des ressources naturelles. Mais ce temps est révolu : le réel force désormais le passage sous la forme de pénuries et la valeur de l’eau nous est  révélée au moment de sa disparition. Il s’agit maintenant de mettre laccent sur des valeurs comme la responsabilité, la durabilité, l’éthique et sans doute sur la recherche dun sens plus authentique à nos vies. La sauvegarde de l’eau doit garantir un avenir viable, pour tous !

Par Vidal Benchimol