Poubelles : le grand déballage
La grève des éboueurs alerte sur l’augmentation du volume des déchets. Il y a urgence non seulement à adopter la stratégie zéro déchets mais aussi à appliquer le principe du pollueur payeur.
Depuis plusieurs semaines, la grève des éboueurs exhibe ce qui demeurait habituellement caché : la quantité considérable de résidus que nous laissons chaque jour dans nos poubelles. Ce sont pêle-mêle sacs en plastique, carton d’emballage, papiers kraft, verre ou métal, matières organiques, débris électriques, vêtements inutiles, électroménager en panne, meubles abandonnés … tout ce qui était supposé s’éclipser rapidement de notre champ de vision par l’action magique des éboueurs s’impose désormais à notre regard et force le dégoût. Mais, passés le ressentiment et la colère, il est temps de briser le déni et d’observer lucidement le spectacle, et d’examiner ce que nous révèle cette crise des poubelles de l’état de la société.
Des déchets en constante augmentation
Dans l’imaginaire social, le statut des déchets a connu de nombreux changements. Ils ont été longtemps associés à la richesse. Plus une cité prospérait, plus elle produisait une imposante quantité de détritus, indice de sa vigueur économique et de l’abondance dont jouissait sa population. Cette représentation était perceptible il y a encore quarante ans : on tenait par exemple le record de déchets atteint par la société américaine pour un indice de son hégémonie économique mondiale. Une poubelle débordante de marchandises innovantes devenues obsolètes, voilà ce qu’était, il n’y a pas si longtemps, l’une des représentations de la croissance et du progrès humain. En comparaison, nos poubelles françaises faisaient pâle figure.
Mais nous ne pouvons plus penser dans les cadres industrialistes hérités du XIXème siècle. Depuis quarante ans, la production d’ordures ménagères a doublé. Les trottoirs jonchés de détritus nous alertent aujourd’hui sur les conséquences que nos usages déraisonnables font peser sur les équilibres écologiques. Et c’est la quantité de DMA (déchets ménagers et assimilés) par personne qui constitue le véritable scandale. Les statistiques sont publiées régulièrement mais elles passent complètement inaperçues : en 1960, chaque français produisait 220 kilos de déchets ménagers ; en 2019, c’était 582 kilos par an. La part du tri et du recyclage, mis en place dans les années 1990, n’ont pas infléchi la progression.
La grève des éboueurs, un révélateur de nos modes de production
Ces chiffres en constante augmentation signifient davantage de gâchis, de déperditions. La gestion du poste d’emballage, par exemple, est aberrante : chacun constate les effets du suremballage des marchandises sur la quantité de déchets visibles dans nos poubelles. Les colis envoyés par les sites de e.commerce nous choquent également : abus de polystyrène non recyclable, papier-bulles, papier de rembourrage, cartons prétendument recyclables à l’infini. Cette culture du gaspillage est articulée au principe d’obsolescence programmée, au cœur du modèle de la société marchande fondée sur la rentabilité et le rendement. Et la démesure du tout jetable s’accroît, malgré de fallacieuses annonces de progrès en matière de recyclage. C’est ce qu’explique Flore Berlingen dans Recyclage, le grand enfumage (éditions Rue de l’échiquier), auquel lequel midi : onze consacrait un article en septembre 2020 : « Cette crise (du Covid) marque le retour en force du jetable, y affirme-elle. L’industrie du plastique, notamment, y a vu l’occasion de battre en brèche quelques avancées de ces dernières années contre les objets et emballages unique. »
Le chaos des immondices sur nos trottoirs porte le nom des impasses du rêve consumériste : pollution, continent plastique, contamination des sols, vampirisation des ressources… Il montre l’urgence de développer une critique de la société de consommation, de déconstruire nos habitudes de consommateurs et de modifier nos usages. La domination du monde marchand sur les imaginaires produit des acheteurs compulsifs, réduits par le principe de plaisir et poussés à l’aveuglement par adhésion au système de la marchandise. La tâche de démystification est donc une vaste entreprise qui doit être menée collectivement si vous voulons survivre. Mais ne nous leurrons pas : pour les déchets, la véritable question demeure celle de la production de la marchandise et de ses emballages. Même si nous apprenions les bons gestes et adoptions massivement la stratégie du zéro déchet, aujourd’hui marginale, les conditions de production resteraient problématiques. Il s’agit donc pour nous d’interpeller vigoureusement les industriels, les producteurs de plastique et la grande distribution afin qu’ils appliquent enfin le principe du pollueur-payeur.
Vidal Benchimol