Fin de règne chez l’homme : une brève introduction à l’écologie profonde
Et si lhomme nétait quune espèce parmi dautres ? Cest la thèse que défend lécologie profonde (deep ecology). Née des travaux du philosophe (et alpiniste) norvégien Arne Naess, cette mouvance radicale en plein essor outre-Atlantique veut, selon le mot de Nietzsche, «réintégrer lhomme dans la nature».
Contre la propension à promettre toujours plus de « green tech » pour lutter contre le désastre climatique et biologique actuel (solution prônée par «lécologie superficielle»), lécologie profonde invite à repenser entièrement la place que nous tenons dans notre environnement. Exit le modèle cartésien dun homme «maître et possesseur de la nature» : pour les héritiers dArne Naess, notre espèce fait partie dun écosystème avec lequel elle interagit en permanence. A une logique de domination du vivant fondée sur limage dune nature menaçante, lécologie profonde substitue la recherche dune symbiose avec un milieu menacé.
Pour Arne Naess, « le bien-être et lépanouissement de la vie humaine et non humaine sur terre possèdent une valeur inhérente ou intrinsèque, une valeur en soi. La valeur des formes de vie non humaines est indépendante de lutilité instrumentale que représente le monde non humain par rapport aux objectifs de lhumanité». Autrement dit : le vivant ne peut se réduire à sa valeur déchange.
Récusant la domination de lhomme sur la nature, lécologie profonde est naturellement malthusienne. Après tout, nétant quune espèce parmi dautres, lhumanité doit se garder de proliférer. Dès lors, on ne sétonne plus que lécologie profonde ait pu être taxée dantihumanisme, voire de «totalitarisme vert». On sétonne encore moins que les uvres dArne Naess, regardées comme essentielles en Norvège et outre-Atlantique, naient été traduites en France quà une date très récente.
Et pourtant ! Si elle fait frissonner dhorreur les partisans de «lexception humaine», soit la quasi-totalité des philosophes, journalistes et chercheurs en sciences humaines, lidée que lhomme soit une espèce parmi dautres est largement validée par le monde scientifique. En effet, la biologie, la génétique ou léthologie pensent désormais les «privilèges ontologiques» de lhomme (particulièrement le langage à double articulation) à partir de son appartenance à un écosystème. Autrement dit, cest parce quil est un animal parmi dautres que lhomme a développé ce quil regarde aujourdhui comme les raisons de son exception ; cest pour survivre quil sest mis sur deux pattes («la pensée commence par les pieds», disait Leroi-Gourhan) ou quil a pris la parole ; cest pour survivre encore quil sest fait Promothée en volant le feu et en sassurant la maîtrise de son environnement. Quant aux études menées récemment autour des espèces animales, elles ont elles aussi fait vaciller nos certitudes quant à l’espèce humaine. Ne sest-on pas découvert un patrimoine génétique commun à 98 % avec le chimpanzé ? Na-t-on pas observé que les oiseaux ont une culture et les éléphants une conscience ?
Jugée à laune de la recherche, lécologie profonde témoigne en somme dune révolution au moins aussi profonde que celle quorchestra Copernic en son temps. Pour paraphraser le titre dun ouvrage de Jean-Marie Schaeffer paru en 2007, elle annonce rien moins que la Fin de lexception humaine.
Envie d’en savoir plus ?
Le site de wild project, revue culturelle décologie, commente et analyse l’oeuvre d’Arne Naess.
Lécologie profonde de Roger Ribotto aux éditions du Cygne (Paris, 2007) est une bonne introduction à une mouvance encore mal connue en France
Ci-dessous, un extrait de The call of the mountain, documentaire consacré à Arne Naess: