Le Cap veut préserver ses manchots

Le Cap veut préserver ses manchots

En 43 ans d’existence, le centre SANCCOB du Cap pour la réintroduction des manchots et des oiseaux de mer a permis à 86 000 d’entre eux de se remettre sur pied et d’être ensuite réintroduits dans les colonies environnantes de la ville. Un travail immense qui a contribué à augmenter le nombre de pingouins à partir du début des années 90 dans la Péninsule du Cap et assurer ainsi l’existence de cette espèce sur la planète, découverte par Vasco De Gama en 1497.

 

"Tu peux les toucher, mais c’est à tes risques et périls, car ils peuvent pincer très fort…" Jean-Pierre met en garde le visiteur qui a pour la première fois l’opportunité d’approcher un manchot. Volontaire au centre SANCCOB (Southern African Foundation for the Conservation of Coastal Birds) du Cap, ce français à la retraite travaille depuis six semaines sous les toits en tôle qui abritent une cinquantaine de manchots en ce début février.

Le travail est harassant, les journées sont longues, et la chaleur vient vous rappeler chaque jour que l’hémisphère sud est bien en plein été. "J’ai perdu trois kilos depuis que je suis ici. Le travail est très physique. Personnellement, je suis chargé de nettoyer les bassins et de laver les serviettes et outils qui servent à nourrir les manchots. Mais on oublie toutes ces journées épuisantes en quelques instants lors du « release »". Le lâchage des manchots est en effet un moment clé de la vie du centre. Deux semaines auparavant, les sept volontaires et les cinq salariés de SANCCOB étaient mobilisés en plus de quelques bénévoles venus pour l’occasion afin de relâcher une cinquantaine de manchots. Le retour à la nature s’effectue toujours en groupe, le manchot vivant uniquement dans des colonies de plusieurs centaines d’individus. En l’occurrence, c’est la colonie de Stony Point, à une centaine de kilomètres du Cap qui est choisie la plupart du temps par le centre.

 

Menacés d’extinction à la fin des années 80

Composée d’une centaine de couples, cette colonie est la seule avec celle de Boulders Beach (la plus importante d’Afrique avec 3000 spécimens) à accueillir des manchots sur le continent. Les autres vivent sur 24 îles (comme la colonie présente sur Robben Island), au large des côtes entre le nord de la Namibie et Port Elisabeth, au sud-est de l’Afrique du Sud. "Stony Point et Boulders Beach sont deux colonies très importantes dans la survie de l’espèce, car elles étaient menacées d’extinction à la fin des années 80", explique Vanessa Strauss, la Directrice du centre.

Plusieurs autres colonies installées sur le continent n’ont d’ailleurs pas résisté à l’envahissement urbain, en particulier sur les côtes sud-africaines qui abritent parmi les plus belles plages du monde. Des centres comme celui de SANCCOB sont aujourd’hui dotés d’un financement plus important car ils s’occupent de la seule espèce de manchots du continent africain (sur 18 espèces recensées dans le monde). Si l’apparence physique de ce manchot du Cap rappelle celle des pingouins, les deux compères n'appartiennent pas à la même famille. Le pingouin est un oiseau de la famille des alcidés et mesure 40 centimètres de haut alors que le manchot du Cap est de la famille des sphéniscidés et mesure 70 centimètres. Ces derniers ont également été rebaptisés Pingouins jackass par les habitants de la cité mère d’Afrique du Sud. Le cri de ces manchots rappelle en effet celui de l’âne.

Difficile pourtant de se croire dans une étable remplie de bourriquets ce jour-là. La cinquantaine de manchots encore présents dans le centre barbotent gentiment dans les bassins ou se promènent sur les rochers artificiels. "On a clairement ralenti la cadence de travail depuis le dernier relâchement, explique Jean-Pierre. Cette année, on a dû attendre fin janvier pour les remettre dans la nature car un virus avait été détecté dans le centre. On a même dû amener une poule autour des bassins pour être certain que le virus ne pouvait pas muter sur d’autres espèces animales. Il fallait éviter tous risques de transmission avant le relâchement."

 

Un million d’euros pour sauver 50 000 manchots de la marée noire

La plupart du temps, les manchots ont besoin d’une semaine pour être à nouveau acceptés par leur colonie. Pourtant, il arrive parfois que le centre ait recours à d’autres stratégies de relâchement en cas d’urgence. Ainsi, le 23 juin 2000, le pétrolier Treasure coulait au large de la ville du Cap, déversant 400 tonnes de pétrole sur les îles de Robben et Dassen. Les autorités sud-africaines décidèrent de lancer le plus important sauvetage d’animaux sauvages au monde afin d’évacuer les milliers de locataires de ces îles. Une opération essentielle car la péninsule du Cap abrite 50 000 manchots jackass tandis que la population totale de cette espèce est estimée à 180 000. Le centre a ainsi lancé un appel public pour mobiliser des volontaires et transporter ces 50 000 manchots à 800 km de leur île souillée par le pétrole. Plus de 1000 volontaires ont répondu à l’appel et ont permis d’acheminer les manchots. Ces derniers ont ensuite regagné leur milieu initial en une quinzaine de jours, permettant à l’armée et à la police, réquisitionnées pour l’occasion, de nettoyer les bords de mer. "C’était une opération exceptionnelle qui a coûté 10 millions de rands au gouvernement (1 millions d’euros), détaille Vanessa Strauss. Mais elle aura permis de préserver intactes ces colonies sur le continent."

Au-delà des marées noires, le manchot du Cap a longtemps été menacé par l’homme qui récupérait ses œufs et utilisait le guano (essentiel pour les manchots dans la localisation de leurs sites habituels de nidification) comme fertilisant. Ces pratiques sont désormais interdites. Aujourd’hui, la menace principale vient de la surpêche et de la raréfaction de la nourriture qui en découle pour les manchots. Se nourrissant principalement de petits poissons (sardines, anchois…) et calmars, les manchots doivent désormais parcourir de plus grandes distances pour parvenir à leurs fins. Sous-alimentés, certains se retrouvent au centre pour quelques semaines. "Chaque manchot reçoit entre six et huit poissons par jour, raconte Jean-Pierre. Nous utilisons principalement du poisson congelé. Nous les nourrissons un par un. En général, ils s’habituent très rapidement au nourrissage par l’homme. Nous devons juste apprendre aux jeunes manchots à avaler les poissons en entier."

 

"Le centre a contribué à quintupler la population de manchots de Robben Island"

Si les manchots sont tous numérotés, les employés et volontaires du centre s’attachent forcément plus facilement à ceux qui se trouvent dans les homes pain. Dans ces cases sont logés les manchots qui ne seront jamais relâchés car trop malades. La vingtaine d’animaux présents ce jour-là ne semblent en effet pas dans la meilleure forme. "Contrairement aux autres, nous les connaissons par leur prénom", précise Jean-Pierre. Il faut plus de moyens pour s’occuper de ces manchots, c’est pourquoi le centre propose au public de les parrainer. Ainsi, pour 500 rands (50 euros), il est possible "d’adopter" un manchot. Le centre se charge ensuite d’informer le parrain de l’évolution de ce dernier. Depuis 1968 et l’ouverture du centre, 86 000 manchots ont ainsi été soignés et remis en liberté.

Un travail d’autant plus important que l’espèce a drastiquement diminué au cours du XXème siècle. La population totale de manchots d’Afrique est ainsi passée de 1,5 million en 1910 à 180 000 aujourd’hui. Le manchot d’Afrique est aujourd’hui inscrit dans la catégorie B2 de l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA). Cette catégorie regroupe les populations vulnérables de plus de 100 000 individus dont l’aire de répartition est restreinte et dont la population décline.

Mais si les manchots restent encore menacés, le travail effectué par le centre a contribué à la sauvegarde de l’espèce dans la péninsule du Cap. "Pendant les quarante dernières années, le centre SANCCOB a permis de multiplier par trois la population de manchots à Stony Point et de quintupler celle de Robben Island", explique Vanessa Strauss. Depuis quelques années, les manchots ont également dû faire de la place pour de nouveaux pensionnaires. A quelques mètres des bassins, un pélican observe paisiblement les volontaires s’activer. Un problème de plume l’a amené jusqu’ici. Un peu plus loin, deux cormorans ont également été pris en charge par le centre. "Nous sommes un centre pour les oiseaux de mer, précise Vanessa Strauss. Nous accueillons régulièrement d’autres espèces, mais il est évident que 90% de notre travail est concentré sur les manchots." Dans quelques jours, le centre accueillera une dizaine de nouveaux pensionnaires blancs et noirs. Et Jean-Pierre et les volontaires remettront comme chaque jour leurs cirés pour participer à la survie des manchots du Cap.