Mot pour mot : biomimétisme
A première vue, le terme « biomimétisme » évoque quelque pratique New age. On imagine bien ses adeptes se modeler, à l’instar des furs, sur un animal dont ils mimeraient le comportement… Après tout, l’étymologie est formelle : « biomimétisme » est composé de bios « la vie », et mimesis, « imitation ».
Théorisé pendant les années 1990 par l’Américaine Janine M. Benyus, dont l’ouvrage Biomimicry vient d’être traduit en français, ce nouveau continent de la connaissance est de fait fondé sur l’imitation : « le principe du biomimétisme, explique l’auteur, est d’étudier les œuvres de la nature (…) puis de reproduire ces schémas et procédés de fabrication pour résoudre un certain nombre de nos problèmes quotidiens. »
Pour autant, on est très loin du folkore baba. Le biomimétisme est une démarche scientifique, dont les applications touchent à tous les domaines ou presque : agriculture, énergie, matériaux, informatique, industrie… Nouée à la frontière de plusieurs disciplines (chimie, biologie moléculaire, agronomie, écologie, informatique, etc.), elle vise non plus à « prendre dans la nature », mais à apprendre d’elle. Au fondement de cette « transdiscipline », un constat : le vivant (plantes, animaux, mais aussi neurones, molécules et j’en passe) est un prodigieux vivier de solutions techniques. Ce que les modes de production industriels ne parviennent à mettre en œuvre qu’au terme de processus coûteux, polluants et toujours perfectibles, il l’accomplit depuis des millions d’années avec une remarquable économie de ressources. C’est la moule qui sécrète un adhésif plus résistant que n’importe quelle colle ; ce sont les végétaux capables de convertir la lumière en oxygène ; c’est la prairie organisée en un écosystème complexe qui contient l’érosion et fournit des végétaux en abondance ; c’est le singe qui sélectionne les aliments les plus nutritifs et peut au besoin s’auto-soigner (la zoopharmacognosie) ; ce sont les neurones qui traitent en même temps un nombre incalculable d’informations.
L’idée qui sous-tend le biomimétisme est que les meilleures solutions à nos problèmes quotidiens existent déjà, et qu’elles ont été façonnées au cours de millions d’années d’évolution… Selon Janine Benyus, cette efficacité tient au fait que la nature est régie par certaines « lois, stratégies et principes canoniques », qui doivent servir de cadre de référence à tout biomiméticien :
- La nature fonctionne à l’énergie solaire
- La nature n’utilise que l’énergie dont elle a besoin
- La nature adapte la forme à la fonction
- La nature recycle tout
- La nature récompense la coopération
- La nature parie sur la diversité
- La nature valorise l’expertise locale
- La nature limite les excès de l’intérieur
- La nature transforme les limites en opportunités
Si l’énoncé des lois ci-dessus paraît enfantin, prendre la nature pour modèle est une entreprise colossale. Faire du biomimétisme, c’est être en mesure d’analyser la composition chimique d’une plante, de séquencer un génome, de comprendre pleinement la manière dont fonctionne un cerveau humain. C’est pourquoi ce champ disciplinaire reste tributaire des méthodes et outils scientifiques : les biomiméticiens que Janine M. Benyus a rencontrés sont des chercheurs qui collectent avec rigueur des données, travaillent autant en laboratoire qu’in situ, à l’aide d’un matériel très sophistiqué.
De plus, l’observation ne suffit pas : encore faut-il être en mesure d’imiter le fonctionnement et les procédés de fabrication des systèmes naturels. Or, répliquer une coquille d’ormeau (plus résistante que n’importe quelle céramique) ou calquer le fonctionnement d’un ordinateur sur celui du cerveau ne va pas de soi. Aussi riche soit-il de potentialités, le biomimétisme n’en est encore qu’à ses balbutiements, et ses applications les plus remarquables sont encore à venir…
A lire :
Biomimétisme : quand la nature inspire des innovations durables, de Janine M. Benyus, Paris, éditions rue de l'échiquier, 2010, 400 p., 23 euros.