Le tourisme, un remède au « mal des banlieues » ?
Et si, au lieu de regarder les banlieues en général et les grands ensembles en particulier comme autant de négatifs de la ville et d’espaces pathogènes, on en valorisait l’intérêt patrimonial ? Prenons-nous à rêver…
Le 15 octobre dernier, j’assistais à la mairie du 4e arrondissement à un grand débat sur le Grand Paris. Les citoyens y étaient venus nombreux, et de partout – Paris intra-muros bien sûr, mais aussi Brétigny-sur-Orge, Montreuil, Montfermeil ou Puteaux. Chacun était invité à s’exprimer brièvement sur ce qu’était selon lui le Grand Paris, sur ce qu’il fallait faire pour le mettre en œuvre (l’intitulé exact de l’événement était : « Quelle gouvernance pour le Grand Paris ? »), sur les obstacles à son avènement.
S’il pouvait passer pour une parodie de concertation, cet élan d’expression n’en mettait pas moins en exergue un ensemble de préoccupations et de thématiques récurrentes, au premier rang desquelles le transport et le logement. De manière insistante, il fut aussi fréquemment question de l’image associée à Paris et sa banlieue. Derrière la diversité des formulations, ce point-là pouvait se ramener à un clivage tenace : d’un côté, le foisonnement culturel de la capitale, la richesse de son patrimoine, ses opportunités de fêtes, d’expos, d’événements en tout genre ; de l’autre la pauvreté architecturale, culturelle, sinon identitaire de sa périphérie.
Alors que les débats récents autour du Grand Paris ont largement souligné la polycentralité de l’espace francilien (Saint-Denis-Plaine commune, le plateau de Saclay et le dynamisme économique des villes nouvelles comme Saint-Quentin et Marne-la-Vallée en sont autant d’exemples), la perception reste vive d’une banlieue morne et sans qualités – au mieux pavillonnaire et constellée de cités dortoirs où rien ne se passe, au pire hérissée de tours et de barres, foyers de la pauvreté, laboratoires de la violence.
Et pourtant ! Il y a quelques jours dans le Monde, Sylvia Zappi signait une enquête passionnante sur le développement du tourisme à l’extérieur du périph : « jusqu’alors, y écrivait-elle, le tourisme hors Paris se limitait à quelques rares lieux classiques comme le Château de Versailles, Disneyland, les puces de Saint-Ouen ou le musée de l’air au Bourget. Progressivement, d’autres sites moins en vue ont réussi à percer. » L’article souligne ainsi l’attrait grandissant des touristes (parfois franciliens !) pour le patrimoine social de la banlieue, 9-3 en tête : désormais on visite les cités-jardins de Stains ou les berges saturées de graffs du canal de l’Ourcq, et quelques férus d’architecture vont même s’aventurer du côté des Courtillières érigées par Emile Aillaud. Ces dernières figurent d’ailleurs parmi les attractions touristiques mentionnées sur le site de Seine Saint-Denis tourisme, au même titre que la cité des 4000 à la Courneuve !
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Cet essor inattendu du tourisme en banlieue peut s’analyser de bien des manières. Tout d’abord, il pourrait être l’indice que le clivage énoncé ci-dessus entre Paris et sa périphérie est en passe de s’estomper, sinon déjà obsolète. Surtout, il résulte peut-être d’une salutaire prise de conscience quant à l’intérêt patrimonial de l’architecture moderne et contemporaine.
L’indigence désolante de la plupart des grands ensembles et l’image de violence et de relégation qui leur est accolée ne doit pas faire oublier leur histoire (prise entre célébration hygiéniste du progrès et désignation précoce de ces espaces comme aliénants et pathogènes) ni la qualité architecturale de certains d’entre eux. Nous avons déjà évoqué l’audace d’un Emile Aillaud, dont les réalisations comptent pourtant aujourd’hui parmi les lieux les plus tristement célèbres d’Ile de France : les Courtillières donc, mais aussi la Grande Borne à Grigny ou les Tours nuages à Nanterre… On pourrait encore mentionner les logements de Jean Renaudie à Ivry, la cité Pierre Sémard d’Iwona Buczkowska au Blanc-Mesnil, les « choux » de Granval à Créteil ou les immeubles de Ricardo Bofill à Marne-la-Vallée.
Tenir ces réalisations pour un patrimoine digne d’être visité et valorisé (par des opérations de communication, des promenades urbaines, des événements divers) peut sembler peu de chose en regard de la détresse sociale dont elles sont souvent le symbole. Pourtant, sauf à considérer qu’elles se fondent sur une organisation spatiale en elle-même pathogène (auquel cas il n’est d’autre issue que la tabula rasa), souligner ce qu’elles ont d’original ou d’intéressant pourrait changer du tout au tout l’image qu’ont d’eux-mêmes ceux qui y vivent, mais aussi l’image qu’en ont les autres, ceux qui désignent ces lieux comme des coupe-gorges où aucune entreprise, aucun commerce, aucune initiative un tant soit peu attrayante ne pourrait prospérer…
Dans une société où l’image tient souvent lieu de réalité, la revalorisation patrimoniale de certains grands ensembles et leur inscription dans une histoire sociale riche et complexe pourraient accompagner efficacement les opérations de réhabilitation dont ils doivent faire l’objet. Sans se substituer aux politiques de rénovation et sans escamoter la nécessité d’un vrai débat sur les « cités », une telle opération les aiderait sans doute à guérir de la « sarcellite ». On se prend ainsi à rêver que dans un avenir proche, ces espaces de la clôture s’ouvriront à un flux croissant de passionnés d’architecture, de simples curieux ou d’étrangers venus découvrir là une histoire aussi passionnante que celle de Versailles, et qui charrieront avec eux un regain d’activité économique, d’attractivité territoriale, et tout simplement de fierté.