La concertation encore balbutiante dans les écoquartiers

La concertation encore balbutiante dans les écoquartiers

L’arrivée des éco-quartiers en France avec le Grenelle de l’Environnement s’est accompagnée d’un mot fort : la concertation. Fondée sur la participation des habitants au processus décisionnel, elle affiche l’ambition d’offrir un modèle d’urbanisme « démocratique » novateur. Mais ce concept prometteur est-il un vœu pieu ou une réalité ?

Une culture de la concertation peu développée en France

La politique des écoquartiers a ses crédos. La concertation en est un. « Les écoquartiers innovent dans les méthodes de productions urbaines contemporaines et offrent la possibilité de porter des stratégies exemplaires en matière de concertation. » estime Décider Ensemble. En novembre 2011, cette association dédiée au développement en France de la concertation et de la décision partagée a passé à la moulinette quelques initiatives en France et en Europe dans son rapport « De l’écoquartier à la ville durable, analyse des pratiques de la concertation ». La concertation pour la réalisation de projets y est définie comme « un processus s’appuyant sur un dispositif de dialogue entre le porteur de projet et les parties prenantes et/ou le public, dialogue maintenu dans la continuité et rythmé par des temps forts et aboutissant à une décision motivée en tenant compte des échanges ». Beau programme pour cette notion peu ancrée dans les mentalités des français. En effet, contrairement à des pays nord-européens comme l’Allemagne ou les Pays-Bas où la dimension militante fut très présente dans la prise de position dans les projets d’aménagement, la France s’est tardivement intéressée à ces pratiques. De surcroît, l’impulsion est davantage venue des institutions. En France, les écoquartiers sont avant tout des projets portés par les collectivités locales auxquels vient s’associer par la suite la société civile.

Un contexte législatif qui a encouragé son développement

La notion de concertation dans l’urbanisme remonte au début des années 1990 avec notamment la naissance des agendas 21 locaux (et son paragraphe 23.2) lors de la conférence de Rio en 1992 : « l’un des pré-requis fondamentaux pour la réussite du développement durable, affirme le texte, est une large participation publique dans le processus de décision ». Ensuite, la Charte adoptée lors de la conférence européenne d’Aalborg (Danemark) le 27 mai 1994, a formalisé les premiers principes de l’urbanisme durable, dans une optique de transparence et d’association des différents acteurs. La charte de la concertation du MATE (Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement) en 1996, proposée par Corinne Lepage, promeut la participation et le débat public et insiste sur la concertation dès l’amont des projets. En 2002, la loi relative à la démocratie de proximité donne un cadre à la participation des habitants à la vie locale. Le nouveau label « Ecoquartier » lancé fin 2012 met également en avant cette notion dans les « 20 engagements ». Il invite à « formaliser et mettre en œuvre un processus de pilotage et une gouvernance élargie. » La concertation a ainsi progressivement pris de l’ampleur et révélé ses atouts : sensibiliser les habitants et surtout légitimer l’action publique, pour in fine contribuer à l’amélioration de la démocratie locale. La concertation est désormais présentée comme un préambule à la réussite d’un écoquartier. Toutefois, comme l’estime Christophe Catsaros, rédacteur en chef de la revue d’architecture Tracés : « Les écoquartiers donnent la tonalité. Ils préparent le terrain, mais beaucoup reste à faire encore d’un point de vue juridique, comme faire évoluer le statut de locataire du parc social vers quelque chose d’intermédiaire, de plus actif, ou encore favoriser des coopératives d’habitants. C’est des choses qui sont en route mais restent encore à faire. »

Outils : vers l’opendata ?

De nouveaux outils numériques sont actuellement expérimentés pour doper la participation des habitants. « Les outils et méthodes de concertation utilisés pour la réalisation des écoquartiers sont encore très conventionnels : réunions publiques, ateliers de travail, visites de sites…, précise l’étude de Décider Ensemble. Si des sites Internet sont créés, ils restent souvent informatifs et les premières tentatives de mise en place d’un dialogue construit et réactif grâce à ces outils restent timides en France ». A cet égard, Rennes Métropole fait figure d’exemple avec son projet de quartier « La Courrouze ». Des ballades numériques ont été organisées pour les futurs habitants. Equipés de tablettes et de systèmes de réalité augmentée, ceux-ci ont pu visualiser en 3D le futur éco-quartier, dont la date de livraison est prévue à l’horizon 2020. Pour Marion Lasfargues, chargée de mission chez Décider Ensemble, « aujourd’hui, la stratégie d’open data n’est pas vraiment maitrisée, certains collectifs de citoyens s’inscrivant en opposition contre les acteurs institutionnels mais l’enjeu est réel et à terme, d’ici 5 à 10 ans, l’open data pourra modifier la concertation en la rendant plus attractive et en améliorant la qualité des projets finaux avec une meilleur prise en compte des usages des habitants eux-mêmes ».

Un avis partagé par Christophe Catsaros : « L’open data est certainement un raisonnement qui va dans le bon sens. Il rend plus difficiles certains abus, certains détournement qui ont fait la mauvaise réputation du milieu de la construction. Ce qui est essentiel c’est de développer une culture du déchiffrage des données publiques : les données ont beau être accessibles, si personne ne peut les lire, ça ne fait pas avancer les choses. »

Des problèmes de « concernement »

Chez Décider ensemble, on rappelle enfin les particularités de l’implication des citoyens dans tous les types de projets (on parle de concernement). « Les personnes qui participent aux réunions sont toujours ceux qui sont contre. Ce sont en général des hommes, d’un certain âge, diplômés et qui ont du temps », souligne Marion Lasfargues, ajoutant « que les dispositifs en ligne pourraient faire évoluer ce constat ». Pour que la participation habitante soit réellement pertinente, il est en effet indispensable que l’habitant se sente concerné par la démarche. Et c’est là tout le paradoxe des projets d’écoquartiers, et plus globalement des projets d’urbanisme, qui sont élaborés alors même que les habitants ne sont pas encore là…Ce phénomène pourrait être d’autant plus important que le risque de livrer des écoquartiers clé en main pèse sur le nouveau label français. La concertation la plus vive se manifeste principalement an aval des projets, quand les habitants ont pris place dans les logements, à ce moment même où leur marge de maneouvre est la plus faible pour infléchir la mise en place de tel service ou tel aménagement dans le projet… Reste la question de la défiance actuelle des habitants. Souvent, ces derniers n’ont plus confiance envers les institutions et les différents acteurs qui ont longtemps fait rimer concertation avec information. Les modèles d’autopromotion et d’habitat coopératif où les habitants se regroupent pour concevoir et financer leur logement pourraient alors devenir des modèles de concertation intéressants pour construire la ville de demain.

Déborah Antoinat