Du poisson dans les tomates : l’agriculture urbaine selon UrbanFarmers
Depuis 2010, UrbanFarmers propose de cultiver légumes et poissons selon les principes de l’aquaponie. Midi :onze est allé voir comment fonctionnait ce système high-tech. Direction Bâle, où la start-up suisse a installé l’an dernier une serre sur les toits d’un entrepôt…
Bien qu’Herzog et De Meuron soient en passe d’en mener la reconfiguration, Dreispitz à Bâle offre encore l’image d’une zone industrielle. Ses rues en damier sont bordées d’entrepôts et pour un passant distrait, rien ne filtre de sa transformation lente mais sûre en quartier durable mêlant lofts, activités et commerces. Rien, sinon ça et là quelques signes, dont la présence en haut d’un toit d’une vaste serre flanquée de deux containeurs orange posés l’un sur l’autre et portant cette inscription : UrbanFarmers.
Une ferme urbaine en pleine ville ? L’idée a germé en 2010 dans la tête de Roman Gaus et Andreas Graber, deux jeunes entrepreneurs suisses. Issu d’une école de commerce, le premier a construit le modèle économique d’UrbanFarmers, fondé sur la vente de serres « clé en main » (« Nous ne vendons pas de tomates, assure leur site Internet, mais grâce à notre système, vous le pouvez »). Le second a étudié l’agriculture à l’Université des sciences appliquées à Wädenswil, et assure le volet scientifique de l’affaire. A Bâle, ils viennent d’inaugurer la première ferme sur toit d’Europe – un projet-pilote en partie financé par la fondation Christophe Merian, propriétaire de l’immeuble, et dont la particularité réside dans son très haut degré de technicité.
Un système fondé sur l’aquaponie
De fait, la serre de Dreispitz tranche sur l’image qu’on se fait de l’agriculture – qui plus est durable. Ici, tout est produit hors-sol selon le principe de l’aquaponie. Cette méthode, qui permet de cultiver en symbiose végétaux et poissons, assure à la ferme une production annuelle de 5 tonnes de légumes (salades, aromatiques, tomates…) et d’une tonne de tilapias. Ces derniers sont répartis selon leur degré de maturité dans trois cuves au fond de la serre, et leurs déjections « nourrissent » les végétaux dont les racines baignent dans de vastes bacs. Non seulement le système permet presque de se passer de terre et d’engrais (les nitrates produits par les poissons en tiennent lieu), mais il est peu gourmand en eau – de 80 à 90% moins qu’une culture « classique » – et ne produit quasi pas de déchets.
Il nécessite en revanche le développement d’un software performant, sur lequel repose l’originalité et le modèle économique d’UrbanFarmers. Dans la ferme-pilote de Bâle, tout est soigneusement contrôlé, de la température de l’air à la composition des nutriments : « si l’eau ne contient pas assez d’oxygène, explique Zoë, en charge des visites et de la communication, Mark, l’un des jardiniers, reçoit une alerte sur son portable ! » Avant de pénétrer dans la serre, fermiers et visiteurs sont aussi priés de se laver les mains pour éviter toute contamination. En effet, la serre est supposée stérile et la vitalité de son « écosystème » tient à une fine analyse des données collectées et à un ajustement permanent. « Le cœur de notre métier, précise Andreas Graber, repose sur l’équilibre entre poissons et végétaux. C’est une alchimie très fine, qui nécessite un constant feedback ! »
Demain des serres urbaines sur les toits ?
Grâce à son système high-tech, la ferme de Dreispitz fournit aujourd’hui en légumes et en poissons quatre restaurants bâlois. Mais Urban Farmers ne compte pas s’en tenir à ces résultats « symboliques ». Avec trois modèles de serres (dont une aux dimensions familiales) et une offre panachant formation, assistance technique et maintenance, la start-up se rêve en pionnière de l’agriculture urbaine, et dessine les contours de ce qui pourrait être une nouvelle manière de cultiver en ville, aussi performante que durable. Dans la lignée des locavores, elle propose ainsi de raccourcir la distance qui sépare lieux de production et de consommation.
Un vœu pieux ? Pas selon Andreas Graber : « des expérimentations menées à Toronto ou Casablanca ont montré qu’avec ce système, on pouvait produire entre 20 et 30% de la nourriture consommée en ville, assure-t-il. Pour fournir à un citadin 12% de son alimentation, seuls 3 m2 sont nécessaires ! » De fait, l’aquaponie pourrait permettre de lever le plus gros obstacle au développement de l’agriculture urbaine : le manque d’espace. D’ailleurs, on vient déjà d’Asie pour visiter la ferme qu’Urban Farmers a installée à Bâle…