Les municipalités, leviers de la transition ? Débat à la Biennale de Grenoble

Les municipalités, leviers de la transition ? Débat à la Biennale de Grenoble

Le week-end dernier, se tenait la 5e biennale de Grenoble, consacrée cette année aux villes en transition. Sous la houlette d’Eric Piolle, maire de la ville, l’événement a été l’occasion de discuter, bonnes pratiques à l’appui, une notion insuffisamment définie, et dont l’institutionnalisation fait débat. Par notre envoyé spécial.

 

Une municipalité peut-elle célébrer la transition ? C’est ce qu’a tenté de faire celle de Grenoble, ce week-end, à l’occasion de la « Biennale des villes en transition ». Pour la cinquième édition de cet événement auparavant réservé au seul habitat durable, la mairie avait ainsi décidé d’en élargir sensiblement l’objet, y incluant des réflexions autour de la participation citoyenne, les monnaies locales, la construction en bois, l’éducation populaire, etc., soit l’ensemble des enjeux qui participent d’une transformation profonde dans l’organisation de nos régimes politiques.

Une première qui faisait sens pour Eric Piolle, le maire de Grenoble : « les villes sont aujourd’hui les territoires au carrefour de toutes ces transitions et les acteurs les plus susceptibles d’y répondre ». Une manière aussi de plaider en faveur de la reconnaissance du rôle des villes et de leur autonomisation politique pour faire face aux défis du XXIème siècle – discours de plus en plus fortement porté depuis la COP 21 : « en 2040, 60% de la population mondiale sera urbaine, rappelait ainsi Laurence Tubiana, ancienne négociatrice en charge de l’accord de Paris et marraine de cette Biennale. Il faut désormais compter sur les villes comme pouvoir essentiel dans le changement du modèle de développement ».

La transition, une constellation de bonnes pratiques

Pendant quatre jours, l’exercice a surtout consisté à raconter ce vaste mouvement à travers diverses initiatives déjà à l’œuvre, à Grenoble comme ailleurs. Du système géothermique géré par une SEM (société d’économie mixte) sur la presqu’île grenobloise à la renaturation des sites miniers de Essen, ville allemande nommée capitale verte européenne pour l’année 2017, de la réinsertion professionnelle par le maraîchage urbain organisée par une association dans la grande couronne de Grenoble à la piétonisation du centre-ville de Pontevedra en Espagne, c’est une mosaïque de bonnes pratiques dans le champ social, économique et environnemental que la Biennale mettait en lumière.

Pour la ville présentée comme un laboratoire politique en France depuis l’élection d’une majorité composite de gauche, écologiste et citoyenne, en mars 2014, il s’agissait, de l’aveu d’Eric Piolle, de « rassembler des sources d’inspirations pour se donner de la force en partageant les richesses de tout ce qui existe partout ». Cet échange d’expériences s’est toutefois heurté à la difficile problématisation du phénomène : tout type de projet, par tout type d’acteurs, à toute échelle, peut-il se revendiquer de la transition ? « Ce sentiment d’éparpillement révèle aussi où en est le mouvement, qui est pour l’heure une sorte de constellation » confiait un organisateur. Si l’objectif du bien-vivre, auquel était consacrée une grande conférence avec Nicolas Hulot – l’autre parrain de l’événement – fait office de slogan de ralliement, des notions importantes telles que la résilience ou l’autonomie ont été plus effacées des débats.

« la transition est un mot qui convient à tout le monde, y compris aux institutions dominantes qui s’accommodent bien de cette idée de compromis »

Or cette absence de définition de la transition pourrait s’avérer contre-productive, voire dangereuse : « la transition est un mot qui convient à tout le monde, y compris aux institutions dominantes qui s’accommodent bien de cette idée de compromis » expliquait Kirsten Koop, géographe, dans une table-ronde consacrée à la place de la société dans la transition. Raison pour laquelle ce terme même est en question : « la transition porte l’idée de continuité alors que c’est une rupture de civilisation qui se dessine. Je préfère parler de métamorphose » explique Olivier Frérot, philosophe invité à observer les débats, qui se montre aussi bienveillant à l’égard de la démarche que sceptique sur son issue : « cette « transition » ne peut pas s’opérer depuis les institutions existantes puisqu’elles sont directement câblées aux systèmes de valeur qui caractérisent le modèle dont on veut sortir ». C’est pourquoi ce dernier appelle depuis longtemps à « regarder ce qui est en train de naître en dehors ou à côté des institutions qui s’effondrent »[1].

Puissance publique ou citoyens : qui porte la transition ?

Le mouvement de la transition ne fait pas exception à cette longue histoire des rapports tendus entre mouvements sociaux et sphères politiques. Si la question de l’institutionnalisation se pose depuis le début pour les « transitionneurs »[2], elle a de nouveau traversé certains des débats de la Biennale. Ainsi de la grande Assemblée des communs, qui s’est tenue le samedi matin et a réfléchi en petits ateliers à la gouvernance d’un certain nombre de biens communs – la nature, la santé, l’urbain et la connaissance. Si la démarche s’inspire de ce qui se fait ailleurs en France, à Brest par exemple[3], elle se doit de suivre une méthodologie particulière : « cela ne peut pas se faire à l’initiative de la puissance publique » raconte une participante réticente à l’hébergement de cette Assemblée dans le cadre de la Biennale.

Pour provoquer un débat sur ces questions-là, un « Off » avait été organisé en parallèle des conférences officielles. « Présenter la ville comme toute-puissante et alternative aux formes traditionnelles de pouvoir évacue la question des rapports de force à l’intérieur de cette ville » précisent les organisateurs de l’Atelier Populaire d’Urbanisme. Et une fois la conquête du pouvoir effectuée, on se confronte aux contradictions du pouvoir : « gagner une élection ne signifie pas reprendre la ville » rappelait Beppe Caccia, chercheur en histoire politique, lors de la soirée conclusive orientée sur la question du nouveau municipalisme. Evoquant Murray Bookchin, père du municipalisme libertaire, Magali Fricaudet, coordinatrice à CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) s’est appuyée sur l’exemple des villes espagnoles : « ce ne sont pas des partis politiques qui y ont gagné les grandes villes, mais des alliances de mobilisation très ancrées dans les territoires, sur des sujets concrets ». A Barcelone, on appelle même cela des « confluences », « car le terme de coalition sous-entend trop l’idée de pouvoir » explique Cesar Ochoa du mouvement Barcelone En Commun, dont il rappelle que Podemos est une composante parmi d’autres : « le parti politique n’est qu’un vecteur, c’est le citoyen qui est le producteur des politiques publiques ».

En substance, c’est pourtant la même idée que prône Eric Piolle, dans un autre débat sur les fractures urbaines : « si on attend que ce soit la ville qui se lance, par exemple en agriculture urbaine, cela ira moins vite que si les citoyens mènent leur propre projet ». Récusant les craintes de récupération politique, le maire de Grenoble défend l’idée d’une municipalité en « accompagnement » des projets de terrain, qui rend possible l’engagement citoyen dans une société d’acteurs en réseau[4]. « Les citoyens sont les artisans à la racine de la transition » résume Kirsten Koop dans ce qui ressemble à un constat partagé. Il pourrait y en avoir un autre, concernant la vocation majoritaire de ces mouvements de fond. Car Eric Piolle ne s’en désespère pas : « c’est un peu plus que l’avenir, c’est déjà le présent : la transition, ce ne sont pas plein de petites gouttes un peu partout, c’est une vague en formation ». On lui souhaite de ne pas s’échouer trop tôt.

 

[1] Voir la tribune dans Libé (http://www.liberation.fr/auteur/15802-olivier-frerot) ou différentes publications telles que « Nos institutions publiques à bout de souffle » et « Solidarités émergentes, institutions en germe » (https://solidaritesemergentes.wordpress.com/).
[2] Voir à ce sujet l’article dans Reporterre relatant un débat sur cette question lors du Festival des Utopies Concrètes, en 2013.
[3] Plus d’infos sur le site Assemblée des communs : http://assembleedescommuns.org/
[4] Voir à ce sujet l’interview dans Reporterre d’Eric Piolle en mai 2016