Les nouveaux bâtisseurs de Vidal Benchimol : une invitation à construire autrement

Les nouveaux bâtisseurs de Vidal Benchimol : une invitation à construire autrement

Le 28 mai dernier, Vidal Benchimol publiait aux éditions Alternatives (collection Manifestô) Les Nouveaux bâtisseurs, construire autrement à l’heure du défi climatique. Le maître d’ouvrage, co-auteur de Vers un nouveau mode de ville (éditions Alternatives, 2013) et directeur de la publication de midionze, y propose un pas de côté hors des routines professionnelles de son secteur d’activité, et invite tous les acteurs de l’habitat à mettre les relations humaines et les liens sociaux au coeur de l’acte de bâtir. Extraits. 

 

Face à l’urgence écologique, la nécessité de programmes immobiliers sur-mesure

« En France comme ailleurs, la nécessité de répondre à l’urgence écologique et climatique place le secteur de la promotion, de la construction, de l’aménagement, et plus globalement l’habitat, face à d’immenses défis. Gros consommateurs d’espace et de ressources (45% des consommations d’énergie en France), émetteurs avérés de gaz à effet de serre (25%), ces derniers sont sommés d’évoluer pour réduire l’impact écologique du bâtiment. En ce domaine, la contrainte réglementaire (exprimée par la succession de règlementations thermiques de plus en plus ambitieuses) est un levier possible, mais ne peut prétendre résoudre seule le problème. Et d’autant moins qu’elle entre souvent en confrontation, sinon en contradiction, avec les habitudes et contraintes (budgétaires notamment) des acteurs de la fabrique urbaine et des divers usagers des lieux. De fait, l’habitat ne peut être envisagé comme un isolat et une « machine célibataire » : ses « performances énergétiques », selon l’expression consacrée, dépendent non seulement de ses caractéristiques intrinsèques (isolation, compacité, orientation du bâtiment, mode de chauffage, etc.) mais aussi d’autres éléments décisifs, parmi lesquels sa localisation et les modes de transport qu’il induit. Elles sont surtout déterminées par les usages quotidiens des habitants, et plus largement des usagers. Or, ces éléments sont encore rarement pris en compte par les promoteurs immobiliers, encore moins par l’Etat, qui fixe les mêmes règles et mêmes contraintes de performance énergétique quel que soit l’emplacement du bâtiment.

En somme, pour répondre à l’ampleur des défis écologiques contemporains, concevoir des bâtiments énergétiquement « performants » ou des écoquartiers ne suffit pas. Une telle ambition plaide au contraire pour une tout autre approche de l’habitat, non plus sectorisée, mais holistique, globale, et capable de s’adapter à la variabilité des contextes et des modes de vie : le standard doit y faire place au sur-mesure, le « prêt à habiter » à la « haute culture ». Elle implique aussi d’informer, d’accompagner, de sensibiliser les habitants, tout en tenant compte de leurs usages et leurs aspirations. Elle appelle à faire place à la diversité des modes de vie, et donc à une dose d’imprévu et d’imprévisible. C’est alors sur le plan des cultures, des représentations, des comportements et des imaginaires qu’il faut agir. Il faut en somme « faire avec » – le contexte, l’Histoire, les usagers, les habitudes, mais aussi avec l’inventivité et l’imagination sans limite de tous les habitants. » (Introduction, p. 10-11)

Vers une appproche holistique de l’habitat

En se focalisant sur la performance énergétique, les acteurs de la construction ont ainsi eu tendance à refouler d’autres questions décisives touchant à l’habitat, dont l’exigence de confort. Ensuite, tout gain énergétique est susceptible de susciter des effets rebonds : parce qu’on a acquis un logement labellisé “basse consommation”, on fait moins attention, on chauffe toutes les pièces, et plus chaudement que ne le recommandent les bâtisseurs. (…) Enfin, les réglementations thermiques ont le défaut de borner leurs calculs à l’échelle du logement, et n’envisagent jamais l’impact énergétique global d’une construction neuve – impact lié entre autres à sa localisation et aux usages induits, en termes de mobilité notamment. Or, selon qu’un logement sera situé dans une zone bien ou mal desservie en transports en commun, en pistes cyclables, en aménités diverses, les besoins énergétiques de ses habitants changeront du tout au tout. Il convient donc de sortir d’une approche sectorielle, uniquement centrée sur le bâtiment, pour ancrer chaque projet dans un territoire, et le concevoir en fonction. 

C’est dans cet esprit que l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich a imaginé en 1998 les contours de “la société à 2000 watts”. 2000 watts, c’est en effet la consommation énergétique annuelle moyenne par habitant à l’échelle planétaire. Cette moyenne inclut tous les postes quotidiens : le logement, le transport, l’achat et l’usage de tous biens matériels, l’alimentation. Elle recouvre évidemment de très fortes disparités : un Européen “consomme” 6000 watts par an, un Américain 12 000, un Indien 1000 et un Bangladeshi 300. Pour limiter le changement climatique dans un esprit d’équité, le projet suisse vise à ramener à 2000 watts/personnes les consommations annuelles d’énergie. Or, un tel objectif suppose une approche holistique. Il implique d’aborder ensemble, et non plus séparément, le logement, le transport, l’approvisionnement alimentaire, la gestion des déchets, etc. Il préconise en somme d’entrer dans le détail des usages quotidiens, pour agir à tous les niveaux, et dans tous les domaines de l’activité humaine. (Chapitre 1, p.30-31)

Les élus, interlocuteurs incontournables de tout projet

Cette étroite coopération est nécessaire à plus d’un titre. Elle permet d’abord d’affiner considérablement la connaissance du territoire où l’on envisage d’acquérir un terrain, raison pour laquelle il est souhaitable de rencontrer les élus avant même tout acte d’acquisition. Certes, les promoteurs immobiliers disposent de nombreux outils pour connaître l’environnement où ils construisent, à commencer par les classiques études de marché. Mais les élus apportent à ces éléments commerciaux des indications autrement plus fines : données démographiques, nature du tissu associatif et professionnel, programmes d’aménagement et planification urbaine, besoins en équipements et services… Ils permettent à ce titre d’ajuster la conception du programme immobilier au contexte, de faire du sur-mesure plutôt que du standard. Ils peuvent aussi mobiliser un réseau local et mettre en lien les opérateurs du projet immobilier avec divers acteurs professionnels et associatifs, dans une logique de circuits-courts, nous y reviendrons. Ils peuvent enfin, nous l’avons dit, adapter tant que faire se peut la réglementation au projet, voire l’accompagner financièrement dans certains cas. Autant d’éléments de nature à favoriser l’appropriation de nouveaux programmes immobiliers sur le plan local. (Chapitre 2, p.58)

Une innovation prometteuse : l’assistance à maîtrise d’usage

Si la valeur sociale d’un projet immobilier se joue en amont et pendant sa réalisation, ce qui advient en aval, après la livraison, est donc absolument déterminant. Après tout, la phase de conception et de mise en œuvre n’est que la portion congrue du cycle de vie d’un bâtiment ou d’un quartier ! C’est après, une fois les habitants installés, que le lieu prend réellement vie. (…) 

Au cours de nos recherches, nous avons visité nombre de lieux où l’ambition de départ s’était heurtée à la réalité des usages. C’était notamment le cas d’un immeuble à structure bois situé en Suisse, et que ses concepteurs avaient tenu à doter d’une salle commune à destination des habitants. Lorsque nous les avons interrogés sur son taux de fréquentation, ils nous ont confié à regret qu’il était bien en-deçà de leurs attentes : l’espace restait vide la plupart du temps. Il offrait pourtant toutes les qualités d’usage requises. Il était vaste, pourvu de toutes les commodités, et situé au rez-de-chaussée. De la même manière, tous les professionnels de la construction notent un écart entre les projections en matière de consommation énergétique des bâtiments et leurs consommations réelle en situation d’occupation. Cet écart s’explique précisément par la difficulté d’aborder les usages, et de prévoir la façon dont les gens vont s’approprier un lieu. 

Pour pallier ces écueils, nombre de professionnels envisagent la mise en œuvre de divers outils d’information et de médiation, sur le modèle des livrets d’accueil et autres sites Internet qui accompagnent généralement la livraison de programmes énergétiquement performants. Toutefois, aucun de ces outils ne peut prétendre remplacer efficacement une présence humaine, et les premiers retours d’expérience dans ce domaine montrent que de tels dispositifs ont de sérieuses limites. Sur le strict plan des consommations énergétiques par exemple, ils ne permettent pas de combler l’écart entre performances théoriques et performances réelles. Pour une raison simple : les gens ne lisent pas, ou pas toujours, les documents d’information et de communication mis à leur disposition. A fortiori dans un logement qui devrait théoriquement se passer de mode d’emploi. (Chapitre 3, p.101-102)