L’étalement urbain : cause ou conséquence de lexplosion automobile?
La voiture a modifié en profondeur lespace urbain. En allongeant les distances, elle a donné naissance à cette zone intermédiaire entre ville et campagne que les Anglo-saxons ont nommé Suburbia traduisez par « banlieue pavillonnaire ».
En France, lavènement de Suburbia est contemporain de lexplosion automobile. Participant dune même aspiration au bien-être et au confort, les deux phénomènes se télescopent quelque part entre les années 60 et 80. La hausse des prix du foncier en ville et les nuisances générées par la voiture poussent les Français (comme dailleurs tous les Occidentaux) à rechercher le calme pavillonnaire. Commence alors la ruée vers Suburbia autre nom de létalement urbain.
Territoire hybride, caractérisé par une plus faible densité du bâti, marqué par lalternance de propriétés avec jardin privatif et de centres commerciaux ceinturés de parkings, celle-ci a été conçue pour se parcourir en voiture. Comment se rendre au travail ? Voiture ! Remplir le frigo ? Voiture ! Se divertir ? Voiture ! Le zonage ayant strictement séparé espaces dhabitation et de travail, lhabitat pavillonnaire consacre la dépendance automobile. Avec les conséquences que lon sait : pollution atmosphérique, insécurité, bruit et surtout, congestion des villes. On assiste en effet à un cercle vicieux : principale cause des embouteillages en ville, le rêve pavillonnaire a rendu la ville invivable, et pousse les citadins à chercher le calme en banlieue. Dans ces conditions, il nest guère étonnant que létalement urbain progresse. Sauf que. La hausse du prix des carburants et la nécessité dinventer dautres mobilités pour « sauver la planète » menacent aujourdhui Suburbia dont certains prédisent déjà leffondrement. Fi des zones « rurbaines » : le modèle que prônent désormais architectes et urbanistes est celui dune ville dense, où se mêlent habitat, commerces, équipements de loisirs, bureaux.
De fait, comme laffirmait déjà André Gorz en 1973 dans « Lidéologie sociale de la bagnole », « lalternative à la bagnole ne peut être que globale. Car pour que les gens puissent renoncer à leur bagnole, il ne suffit point de leur offrir des moyens de transports collectifs plus commodes : il faut quils puissent ne pas se faire transporter du tout parce quils se sentiront chez eux dans leur quartier, leur commune, leur ville à léchelle humaine, et quils prendront plaisir à aller à pied de leur travail à leur domicile – à pied ou, à la rigueur, à bicyclette. Aucun moyen de transport rapide et dévasion ne compensera jamais le malheur dhabiter une ville inhabitable, de ny être chez soi nulle part, dy passer seulement pour travailler ou, au contraire, pour sisoler et dormir. »
Pierre Monségur