Pour en finir avec la gloutonnerie urbaine

Pour en finir avec la gloutonnerie urbaine

L’image d’une ville consommatrice, « gloutonne » qui s ‘opposerait à une campagne productrice et nourricière semble peu à peu s’estomper, à la faveur des nombreuses initiatives qui se développent pour offrir davantage d’autosuffisance alimentaire aux villes. L’espace urbain veut mettre la main à la pâte pour fournir des produits agricoles. Une préoccupation d’autant plus nécessaire que d’ici 2050, près de 75 % de la population mondiale vivra en ville. La résilience alimentaire urbaine est-elle un vœu pieu ou une tendance bien concrète en passe de devenir une réalité?

Vers la ville comestible
Toits-terrasses, jardins potagers, fermes urbaines, les projets d’ agriculture urbaine essaiment un peu partout en France depuis quelques années, après avoir connu un certain succès en Amérique du Nord à l’image de la Lufa Farm, première ferme urbaine construite en 2010 sur le toit d’un immeuble à Montréal. A Paris, l’un des engagements de la maire Anne Hidalgo est de végétaliser 100 hectares de surfaces parisiennes d’ici 2020 à travers l’appel à projets Parisculteurs soit 47 sites à verdir (parkings, toits, jardins, terrasses, surfaces au sol et en sous-sol).  Les spécialistes du vert en ville se multiplient : Topager cultive des jardins potagers sur les toits, des toitures et des murs végétalisés, Sous les fraises vise l’exploitation de maraîchages urbains, Toits vivants, Le sens de l’Humus, V’île fertile ou Clinamen qui s’est notamment fait connaître en faisant paître des moutons à Saint-Denis.

Aujourd’hui, rares sont les projets urbains qui n’incluent pas – peu ou prou – des jardins partagés dans leur programme… De quoi se demander si la végétalisation comestible n’est pas le nouveau mantra de la fabrique urbaine.  « Il y a des initiatives très diverses : certaines sont de véritables laboratoires très utiles, d’autres semblent surfer sur un filon, explique Jean-Noël Consales, Maître de Conférences en Urbanisme, Aménagement du Territoire et Géographie à l’Université d’Aix-Marseille (AMU) et spécialiste des questions d’agriculture urbaine. La question de l’autosuffisance doit être posée car elle sous-tend des questions pour construire une ville plus durable ».
Quelques villes tentent d’aller encore plus loin. Ainsi, la ville de Todmorgen a pour objectif depuis 2008 de parvenir à l’autonomie alimentaire d’ici à 2018. C’est là que né le mouvement des Incroyables comestibles qui vise à l’autosuffisance. Le principe : faire cultiver les parcelles disponibles par les habitants, contribuant de cette façon à la réappropriation citoyenne de l’espace. Totnes en Angleterre, lieu où se crée le mouvement des villes en transition encourage les circuits courts, l’autosuffisance alimentaire énergétique et économique allant jusqu’à instaurer une monnaie locale. Des lieux d’expérimentations apparaissent en France comme à Albi où un vaste programme a été lancé.

Renforcer les liens villes-campagnes

Les nombreux scandales alimentaires comme la crise vache folle ou l’affaire de la viande de cheval, l’utilisation des pesticides questionnent les modes de production alimentaire et participent à l’envie grandissante des consommateurs de s’assurer de la traçabilité des produits et de manger mieux, bio, local et de saison. La crise économique fait bouger les mentalités et les pratiques évoluent. Les circuits-courts séduisent : Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), Ruche qui dit Oui ! (réseau de vente directe pour les produits locaux), nombreux sont ceux qui proposent des paniers pour la plupart bio où le consommateur peut commander des produits issus de différentes exploitations locales. Certaines cantines misent aussi sur le local et le bio comme à à Mouans-Sartoux, petite commune de moins de 10.000 habitants des Alpes-maritimes où des déjeuners 100 % bio sont servis aux enfants des trois restaurants scolaires. Et la municipalité s’est même lancée dans la production de ses propres légumes bio pour alimenter les cantines scolaires de la commune. Pour cela, elle a acquis en 2005, par voie de préemption, un ancien domaine agricole composé d’un terrain de 4ha.

L’initiative menée dans cette commune est bel exemple de ce qui peut se faire en termes de politique agricole et alimentaire locale pour s’approcher d’une autonomie alimentaire. Mais cette échelle de territoire est-elle la réponse adéquate pour penser l’autosuffisance alimentaire ? « Selon moi, l’échelle d’efficience se situe autour du périmètre de la métropole sans pour autant garantir une autonomie totale, ce qui est sûrement une utopie », estime Jean-Noël Consales. « L’enjeu pour toutes les métropoles mondiales va consister à combiner une échelle de production à l’échelle métropolitaine avec une gouvernance qui va se faire au niveau régional. A cet égard, l’exemple marseillais est intéressant car l’essentiel de la production agricole réalisée par les producteurs au nord de la métropole Aix-Marseille est consommée à l’extérieur de ce territoire alors qu’elle pourrait approvisionner le sud densément peuplé ».

L’agriculture urbaine est également un enjeu planétaire pour lutter contre la faim et atténuer l’insécurité alimentaire urbaine à l’heure où les espaces urbains sont de plus en saturés. Face à l’augmentation du nombre de migrants vers les centres urbains dans les années à venir liés aux catastrophes écologiques et aux conflits, il est fondamental de bâtir des villes plus résilientes. Et pour Jean-Noël Consales, « derrière cette notion d’autosuffisance, il y a aussi la démocratisation de la question de l’autonomie alimentaire d’une population et d’un territoire. Aussi, l’inclusion de cette forme de production en ville change la question alimentaire, fondamentale des modes de vie urbains. Elle permet une reconnexion et un questionnement face à la chose alimentaire ».

Déborah Antoinat

Crédit : Un potager signé Topager pour la brasserie Frame du Pullman Tour Eiffel. Crédit : Topager