Enquête : les climato-sceptiques mènent-ils le jeu ?
A quelques jours du lancement de la COP21, la grande conférence mondiale pour le climat qui se tient à Paris du 30 novembre au 11 décembre, le question de la responsabilité de l’homme et de ses activités dans le dérèglement climatique ressurgit par la voix des climato-sceptiques. Souvent présents dans les médias, qui sont-ils réellement ? Midi:onze fait le point sur leurs méthodes, leurs motivations et leur véritable poids.
Des scientifiques… souvent non climatologues
Le 9 novembre dernier, le Collège de France organisait un colloque intitulé Climat, énergie et société. La communauté scientifique présente, ainsi que le Président de la République François Hollande, invité pour l’occasion, ont martelé un unique discours : le caractère anthropique du réchauffement climatique « ne fait plus débat aujourd’hui », selon les propres termes du chef de l’État. Pourtant les climato-sceptiques sont bel et bien présents dans le jeu médiatique. Ils sont Prix Nobel, auteurs d’articles majeurs, mathématiciens, géologues, physiciens, géochimistes et ont en commun de remettre en cause le consensus scientifique sur l’origine humaine du réchauffement climatique, pourtant validé par près de 90 % des scientifiques. Pour évaluer leur nombre, on peut regarder du côté de l’Oregon Petition : cette déclaration de 31.000 scientifiques – dont plus de 9000 doctorants – rejette la thèse officielle du GIEC et du changement climatique, et s’oppose aux accords de Kyoto. Reste que cette pétition est loin de faire l’unanimité chez les spécialistes, que et la non-traçabilité de ses signataires suscite des doutes.
Dans L’avenir du climat : enquête sur les climato-sceptiques, paru en octobre dernier chez Gallimard, Stéphane Foucart, journaliste scientifique au Monde décortique la bataille qui se joue dans la communauté scientifique. « Il est très difficile de dire combien sont les climato-sceptiques, explique-t-il. Qu’ils représentent beaucoup de monde ou pas, leur discours distille un doute qui désamorce la société civile sur un engagement en faveur de la réduction des gaz à effet de serre ».
Le journaliste s’intéresse particulièrement à deux chercheurs français : Claude Allègre bien sûr, qui conteste dès 2006 l’origine humaine du réchauffement planétaire, mais aussi Vincent Courtillot, son acolyte et successeur à la direction de l’IPGP, L’institut de physique du globe de Paris, membre de l’académie des Sciences et géologue. En mai 2015, celui-ci réaffirmait que le soleil était le seul responsable du changement climatique. En France, on pourrait encore citer le Mr. Météo de France 2 Philippe Verdier, qui vient de publier Climat investigation, les dessous d’un scandale planétaire aux éditions Ring. Pour ce journaliste, « il n’existe aujourd’hui plus de lien entre le climat et le discours alarmiste sur ce sujet. Les Français sont maintenus dans la peur par un matraquage sans précédent. Cette prise d’otages constitue un enjeu diplomatique pour la Conférence de Paris. » L’ouvrage a bénéficié d’une large couverture médiatique, et les arguments avancés pour en démonter les thèses n’ont pas toujours réussi à dissiper le doute chez le grand public…
Semer le doute dans l’opinion publique
C’est bien là l’une des principales caractéristiques des climato-sceptiques : ils écrivent des textes dans des revues scientifiques réputées, ils publient des livres sur la question, alors même qu’ils ne sont pas climatologues… et alors même que leurs travaux sont quasi systématiquement réfutés par la communauté scientifique. Stéphane Foucart révèle ainsi la façon dont Allègre et Courtilllot multiplient les erreurs de calcul et d’attribution des données de référence, ne retenant que celles qui sont favorables à leur argumentation.
Il démonte ainsi dans son ouvrage les mécanismes de propagation d’un doute préfabriqué qui ne relève pas du doute scientifique. Il pointe notamment du doigt les défaillances des mécanismes de la revue des pairs (dans les disciplines scientifiques, l’évaluation par les pairs désigne l’activité collective des chercheurs qui jugent de façon critique les travaux d’autres chercheurs) qui laissent filtrer des études climatiques des géologues de l’IPGP. « Les climato-sceptiques tirent bien souvent leur légitimité des travaux généralement mauvais et souvent réfutés, mais ayant eu l’onction de la publication, pour porter un discours public sur le changement climatique », écrit Stéphane Foucart. Le web, la blogosphère et les autres médias prennent ensuite le relais pour diffuser les thèses climato-sceptiques et créer dans l’opinion la confusion entre science et écologie politique.
Le poids des lobbies
La négation scientifique liée à la question du climat s’inscrit dans une longue tradition née aux États-Unis dans les années 1980 et les climato-sceptiques d’aujourd’hui sont aussi bien souvent ceux qui niaient la nocivité du tabac, de l’amiante ou des CFC sur la couche d’ozone…
« Aux États-Unis, il y a un arsenal législatif qui permet de la transparence dans les comptes des think thanks », explique Stephane Foucart. Le sociologue américain Robert Brulle (Drexel University à Philadelphie) propose l’estimation suivante : 900 millions de dollars/an auraient été investis au cours des dix dernières années dans une galaxie d’organisations, think tanks et associations professionnelles, qui sont les fers de lance de l’argumentaire climato-sceptique. En effet, les industries extractrices se sont souvent appuyées sur les géologues pour connaître les zones à forer. Or, ces mêmes entreprises sont les principales émettrices de gaz à effet de serre : selon une étude publiée dans la revue scientifique Climatic Change, 2/3 des émissions mondiales de gaz à effet de serre accumulées depuis le début de la révolution industrielle sont causées par 90 firmes (industries pétrolières, acteurs du charbon, du gaz de schiste et sables bitumineux, industrie forestière et de l’huile de palme, banques).
Dans Les saboteurs du climat, Nicolas de la Casinière, journaliste à Libération et à Reporterre met en exergue le poids des multinationales et grands groupes industriels dans les émissions de CO2. « Les « expertises » produites servent à gagner du temps, à retarder les réglementations contraignantes, repousser au plus tard possible l’arrêt des activités des industries polluantes », écrit l’auteur. Selon une étude universitaire anglaise citée dans cet ouvrage, 77 % des 500 plus importantes entreprises mondiales utilisent de telles associations professionnelles pour faire pression sur les politiques liées au climat.
Ego, concurrence entre disciplines scientifiques et politique
En France, la situation semble différente pour des raisons législatives et culturelles. Selon Stéphane Foucart, « il n’y a aucun élément, aucune preuve pour dire que des grosses entreprises ont financé ce type de discours à dessein. Il s’agit davantage d’une proximité historique et culturelle liant les géologues aux industries extractrices. Le climato-scepticisme français relève plus de la sociologie des sciences que de la corruption. A la fin des années 1970 et dans les années 1980, la montée en puissance des sciences de l’atmosphère s’est faite au détriment des géologues liés aux sciences de la terre avec des financements désormais alloués à ce domaine, créant un contentieux et une forme de rivalité entre les chercheurs. Il faut aussi prendre en considération, notamment pour Claude Allègre et Vincent Courtillot, habitués des médias, une sorte de volonté de revenir sur le devant de la scène médiatique ».
La couleur politique joue également un rôle central dans l’appréciation de la question climatique. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis : d’après une enquête du Pew Research Center réalisée en 2014, 80 % des sondés se disant démocrates admettaient le rôle de l’activité humaine dans le changement climatique actuel contre 10 % de ceux qui se revendiquaient du parti républicain. Les enjeux économiques et sociaux de réduction des émissions sont tels que la récupération politique est inévitable. On comprend aisément qu’un discours qui incite à consommer moins d’énergies non renouvelables et un discours « techno-solutionniste » n’aient évidemment pas la même incidence sur l’économie globale et sur notre modèle de société. Si l’homme n’est pas responsable des émissions, les industries extractrices n’ont alors aucune obligation de réduire leurs activités émettrices de CO2. « Le vrai débat ne porte pas sur la réalité du phénomène ou de ses causes mais bien de savoir de ce qu’on fait de ce constat, estime Stéphane Foucart. C’est une question politique :celle de savoir comment s’adapter au changement climatique sur les plans économique, social et culturel. Car pour influencer le cours des choses, il faudra des innovations certes économiques mais aussi sociales et culturelles. »
Le climato-scepticisme a t-il un avenir ?
Alors que tous les regards se tournent aujourd’hui vers Paris pour savoir si la COP21 parviendra, via un accord contraignant, à limiter à 2 degrés le réchauffement climatique d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle, on peut s’interroger sur la capacité de nuisance des climato-sceptiques. Pour le journaliste du Monde « ils n’influencent pas les négociations. En effet, depuis, la Conférence Cadre des Nations Unis de 1992, il n’y a plus de question sur la pertinence de la réalité du phénomène et de ses conséquences. Aucun élément de discours climato-sceptique ne pèsera ; ce qui se joue se situe sur le plan politique et sur celui de l’opinion publique. » Selon une étude de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, les Français sont 72% à penser que le phénomène du réchauffement est dû aux activités humaines. Un chiffre rassurant, et qui révèle que malgré l’influence non négligeable des climato-sceptiques dans l’opinion publique, les Français semblent de plus en plus en alerte sur le sujet. Avec la multiplication des articles contredisant les idées reçues sur le dérèglement climatique, la capacité des climato-sceptiques à semer le doute pourra t-elle perdurer ? Pas selon Stéphane Foucart : « les gens ne vont plus acheter ce discours dés lors qu’ils vont constater que les choses changent, prédit-il. Dès que les effets vont commencer à se faire sentir dans les grands centres urbains, les climato-sceptiques vont cesser leur discours sur la non-responsabilité de l’homme – et ces propos commencent déjà à être moribonds. Mais leur discours est à géométrie variable et la prochaine étape sera de trouver des solutions technologiques pour résorber les émissions de CO2, car leur but est de bien de faire en sorte que les industriels continent d’extraire les hydrocarbures et de les vendre ».
Préparez vous donc à entendre parler de solutions plus ou moins ubuesques pour contenir le CO2. Nicolas de la Casinière nous cite quelques-unes des trouvailles de la géo-ingénierie : séquestrer le carbone directement à la source, pulvériser des tonnes de poussière de fer dans les océans, asperger la stratosphère de soufre ou envoyer des miroirs en orbite… Autant de propositions émises par de grands groupes industriels.